HAM (80) - REVUES

MARIA.
"Le Château de Ham" 
Magasin Universel
tome 3, 1836, avril, n° 31, pp. 242-244
Ham-Paris, collection Beaurain

***
" La discussion entamée dernièrement dans les journaux à la Chambre sur la question d'amnistier les nombreux condamnés politiques dont regorgent, depuis 1830, les prisons de France, a reporté l'attention publique sur le château de Ham. Ham attend en effet comme Clairvaux, Sainte-Pélagie et le Mont Saint-Michel, l'heure de la rémission ; nous voudrions pouvoir dire de l'oubli et de la concorde.
Peut-être la publication de l'amnistie aura-t-elle devancé l'apparition de ces lignes que nous consacrons aux prisonniers du château de Ham ; hâtons-nous donc de dire à ceux de nos lecteurs qui ne le connaissent pas encore, la vie que l'on mène dans la vieille prison d'Etat.
Un éditeur célèbre qui a attaché son nom à une foule de grandes publications, a donné de curieux détails sur une visite qu'il fit au comte de Peyronnnet. Muni de deux permissions du ministre de la guerre, notre visiteur arriva sans encombre jusqu'à la descente de la diligence, où il trouva un gendarme qui lui demanda son passe-port. Après un long et minutieux examen de la pièce officielle, le gendarme lui laissa enfin la liberté de gagner la rue Tournoyante, où demeurait madame de Perpigna, sœur de M. de Peyronnet, chez laquelle il devait descendre. Cette dame, qui faisait jadis les honneurs du salon de la chancellerie avec tant de grâce et d'éclat, occupait une petite maison picarde, propre et modeste, où elle vivait aussi presque prisonnière que son frère, mais où le malheur n'avait altéré en elle ni la vivacité ni le charme d'une douce gaieté.
Après avoir fait viser son permis de visite par le commissaire de police, le voyageur se présenta aux portes du château de Ham. Il lui fallut franchir une double enceinte, passer sur deux ponts-levis, et quand il se vit en face d'une lourde porte, le factionnaire qui en gardait la clé, lui dit : "faites-vous reconnaître au concierge ; et le concierge fit, lui aussi, son examen, comparant le passe-port à l'individu, puis il lui dit de le suivre chez le commandant du fort, qui étudia aussi le passe-port et visa de nouveau la permission.
Enfin notre voyageur fut conduit à la prison des ministres, dont la lourde porte fut ouverte par un concierge spécial qui habite l'intérieur de cette partie du château, et la permission fut remise à un inspecteur qui devait la garder jusqu'à l'heure de la sortie.
Ici nous laisserons le voyageur décrire lui-même l'intérieur du château de Ham, et dépeindre la situation des prisonniers.
"MM de Chantelauze et de Guernon-Ranville occupent le rez-de-chaussée ; MM. de Polignac et de Peyronnet, le premier étage. La disposition de tous les appartements est la même. Placés sur une ligne parallèle, et composés chacun d'un cabinet de travail et d'une chambre à coucher, ils sont séparés par un corridor dont la porte, ouverte pendant le jour, permet aux prisonnier accès à la salle à manger et sur la plate-forme du château. Le soir, cette porte se ferme, et toute communication avec une autre partie du corps de logis se trouve ainsi suspendue jusqu'au lendemain matin.
"Les quatre ministres captifs diffèrent beaucoup entre eux dans leurs habitudes. M. de Chantelauze paraît le plus abattu. Il est vrai qu'il est le plus à plaindre peut-être, car il est tout à fait seul neuf mois de l'année. Il ne voit que durant trois mois un généreux frère qui sacrifie le soin de ses intérêts, la douceur de ses affections privées, sa fortune et sa famille, au devoir de lui apporter de tendres consolations. Pendant le reste du temps, M. de Chantelauze semble dégagé de toute idée terrestre, et livré à une profonde méditation dans laquelle il oublie le plus souvent jusqu'au soin de se vêtir.

H. BROWN
Vue du château de Ham, vers 1836, bois de bout, repr. in : Magasin illustré, avril 1836, p. 245

 
"M. de Guernon, plus positif, et que la réminiscence de quelques anciennes études rendait propre à subir la rigueur de ce triste genre de vie, partage ses jours entre les sciences physiques et les sciences mathématiques. Il passe auprès de la machine pneumatique toutes les heures qu'il n'emploie pas à résoudre des questions d'algèbre ; mais, le plus souvent, debout devant un grand tableau noir, chargé de lignes tracées à la craie, les habits en désordre, et le visage à demi-couvert d'une barbe épaisse que le rasoir n'a pas touchée depuis son entrée en prison, il serait facile de le prendre, à son costume et à sa préoccupation, pour un nouveau Galilée cherchant dans son cachot la solution d'un grand problème.
M. de Polignac, au contraire, n'est changé en rien. C'est là, comme à Paris, l'homme aux mœurs élégantes et à la vie fashionnable. C'est lui, calme, résigné, presque insouciant, par philosophie ou par piété, ne s'ennuyant guère plus qu'à une loge d'avant-scène de l'Opéra ; poli, riant, aimable, et surtout grand seigneur ; mais il peut voir au moins sa femme et ses enfants, pour lesquels il n'est pas mort comme pour la société. De sa famille il s'est fait une patrie, et de son éternelle prison un château. Ses occupations consistent à dessiner et à faire de la musique.
"M. de Polignac s'habille toujours avec un soin extrême, et lorsqu'il va prendre l'air à la promenade commune, sur une plate-forme de soixante à quatre-vingt pieds de longueur, et qui n'est large que de cinq pieds seulement, à le voir vêtu comme il est, vous le prendriez pour un des dandys les plus recherchés de Londres, qui s'amuse à visiter une forteresse avant d'aller dans le monde.


"M. de Polignac sort à sept heures du matin, quelque temps qu'il fasse ; et, soit pour entretenir sa santé, soit pour déjouer malicieusement la sévère attention de ses gardiens, il fait de cette étrange promenade une course rapide où il serait difficile de le suivre. M. de Guernon sort plus tard ; M. de Chantelauze paraît ; M. de Peyronnet, jamais.
"Pendant vingt-deux mois, M. de Peyronnet n'a pas quitté la chambre. Il veut bien se promener, dit-il, mais le ne veut qu'on le promène. Il prétend surtout que c'est une chose absurde de lui imposer des heures et de lui dire : Sors maintenant, quoiqu'il pleuve et que tu travailles ; plus tard, quand le temps sera beau et que tu n'auras rien à faire, eh bien ! tu ne sortiras point."
"Les prisonniers déjeunent chacun de leur côté, mais ils dînent ensemble, si ce n'est M. de Peyronnet à qui l'on apporte à manger de la rue Tournoyante. Par humilité ou par goût, M. de Polignac laisse son cuisinier oisif, le même qu'il avait à l'hôtel des Affaires-Etrangères, et vit comme on vit au château de Ham. La table de M. de Peyronnet n'est ni plus ni moins simple. Elle ne diffère de l'autre que par son expresse et absolue solitude.
"La salle à manger des ministres se transforme chaque dimanche en chapelle, où tous les quatre ils entendent une messe, à laquelle sont admis seulement le commandant Delpire et l'enfant qui la sert.
"M. de Peyronnet semble s'être imposé l'obligation de ne rien demander. Il a été, l'an passé, pendant quatre mois et demi, malade d'une sciatique qui ne lui permettait d'aller de son fauteuil à son lit qu'à travers un chemin qu'il s'était formé avec des chaises. Il n'a pas même réclamé alors le secours d'un médecin. La plus horrible douleur de sa captivité fut de savoir sa pauvre belle-mère malade, elle qui, pendant trente ans, avait partagé sa bonne et sa mauvaise fortune.
"Elle mourut à Ham sans qu'il pût recevoir son dernier adieu, et il ne parle de ce regret qu'avec une déchirante émotion.
Le cabinet de travail de M. de Pyeronnet est orné de quatre petits corps de bibliothèque où sont rangés tous les historiens français, beaucoup de livres de jurisprudence, et d'autres ouvrages propres à des études sérieuses. Les Chroniques de Froissard et les Mémoires sur l'histoire de France sont les seuls livres que contienne sa chambre à coucher.
"Le cabinet est meublé avec une grande simplicité. Une large table couverte d'un tapis vert, et un grand fauteuil à la Voltaire, sont les principaux meubles de l'appartement. Une pendule et une glace ornent la cheminée, au-dessus de laquelle on lit cette devise écrite de la main de M. de Peyronnet, devise singulièrement caractéristique aujourd'hui, dans la position d'un malheureux prisonnier : MOULT ME TARDE. Les croisées sont garnies de caisses remplies de fleurs, sans doute pour en cacher les grilles.
"Quatre portraits de famille sont suspendus devant l'habitant solitaire de ce séjour ; les portraits de ses enfants : M. le vicomte de Peyronnet, mort il y a cinq ans, avocat général à la Cour royale de Paris, et madame la marquise Talon, puis madame de Lavilléou, et M. Jules de Peyronnet, qui ont du moins survécu aux autres pour alléger le deuil de l'infortune de leur père, et qui sont, comme le dit M. de Peyronnet, ce qui lui reste de ses enfants.
"M. de Peyronnet est moins changé qu'on en devrait s'y attendre. Ses habitudes sont très-régulières ; il se lève de bonne heure, lit les journaux, et travaille jusqu'à midi ; les visiteurs sont ensuite reçus jusqu'à  cinq heures.
"On sait que M. de Peyronnet a employé les loisirs que lui a faits sa condamnation, à la composition de plusieurs ouvrages, fort remarquables par les pensées comme par le style, ouvrages parmi lesquels nous mentionnerons de préférence les Souvenirs d'un prisonnier, dont tous les organes de la presse ont fait un grand éloge chacun à leur manière. La captivité de M. de Peyronnet l'a grandi dans l'opinion publique ; on ne lui savait pas généralement ni tant de force d'esprit ni tant d'aptitude pour les lettres. Si l'heure de l'amnistie venait à sonner, il pourrait reparaître au milieu du peuple français, sans avoir autre chose à craindre que l'empressement d'une importune curiosité. Bien des idées se sont modifiées depuis 1830, de vieilles haines politiques se sont assoupies, et l'immense majorité des Français comprend que six années d'une dure capitivité ont bien expié la faute de l'insuccès de 1830.
"Le château est occupé par deux compagnies d'élite et une compagnie d'artillerie, formant à peu près quatre cents hommes en tout. Les ponts-levis sont dressés après huit heures du soir. Au reste, la forteresse est sur le même pied que les places de guerre.
"La petite ville de Ham est entourée de fossés et de terrains plus bas que son sol. En sa qualité de ville de guerre, elle a servi de prison, en 1816, au général Moncey qui avait refusé de juger le maréchal Ney. Un autre prisonnier de notre temps, au nom duquel est attaché aussi quelque célébrité, M. de Chaumarais, capitaine de la frégate la Méduse, a expié dans le château de Ham le malheur d'avoir perdu son navire avec une partie de l'équipage. -Ham n'a que trois portes : la porte Noyon, la porte de Saint-Quentin et la porte de La Fère. Elle ne renferme que 1900 habitants."
Peut-être la publication de l'amnistie se fera-t-elle attendre assez longtemps pour nous permettre de reparler du vieux donjon où languissent les derniers ministres de Charles X. Il est aussi une autre prison dont le nom revient toujours à l'esprit, quand on prononce celui de Ham. Mais Blaye a rendu son illustre prisonnière, et les souvenirs que ce nom rappelle ne nous permettraient pas de nous renfermer dans les limites que nous impose la loi. "

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Commentaire :

Cet article relate la vie quotidienne de quatre prisonniers, anciens ministres de Charles X, depuis leur incarcération au château de Ham en 1830. L'auteur s'appuie sur le récit d'un "éditeur célèbre" qui --rendit visite à l'un de ces quatre prisonniers, le comte Pierre-Denis de Peyronnet (1775-1854), ministre de l'Intérieur au moment de la chute du régime. Celui-ci avait pour compagnons d'infortune, Jules de Polignac (1780-1847), ministre des Affaires-Etrangères, ainsi que les députés Jean de Chantelauze (1787-1859) et Martial de Guernon-Ranville (1787-1866). Tous quatre furent graciés le 17 octobre 1836, à l'instigation du premier ministère Molé.

L'auteur de l'article évoquee deux autres célèbres prisonniers privés de liberté au début du XIXe siècle : Bon-Adrien Jeannot de Moncey (1754-1842), maréchal d'Empire, condamné au lendemain des Cent-Jours à trois mois pour avoir refusé de juger le maréchal Ney ; et Hugues Duroy de Chaumareys (1763-1841), capitaine de frégate, jugé après le naufrage de La Méduse au large des côtes de Maurtanie le 2 juillet 1816, condamné à trois ans de prison et envoyé au château de Ham.

La rue Tournoyante (actuelle rue Saint-Maur), où vivait la sœur du comte de Peyronnet, menait de la rue Marchande au rempart du midi. Elle reçut ce nom sans doute à cause des détours qu'elle fait pour aboutir au rempart (voir Charles Gomart, Ham, son château et ses prisonniers, Ham-Amiens-Paris-Saint-Quentin, 1864, pp. 67-68). 

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