SCEAUX (92) - MONOGRAPHIES

 

Adolphe JOANNE (1813-1881)
Les Environs de Paris illustrés. Itinéraire descriptif et historique
Paris, Librairie de L. Hachette et Cie (Bibliothèque des Chemins de fer), [1856]
17,7 x 11,8 cm
Ham-Paris, collection Beaurain

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La table méthodique des matières (Itinéraire des environs de Paris) comprend cinq sections : 

PREMIERE SECTION
LA BANLIEUE
Le Bois de Boulogne - Les villes, les villages et les châteaux du bois de Boulogne - Neuilly - Les Ternes - Batignolles-Monceaux - Clichy-la-Garenne - Saint-Ouen - Montmartre - Clignancourt - La Chapelle-Saint-Denis - La Villette - Montfaucon et le Dépotoir - Les buttes Chaumont et les carrières de plâtre - Le Pré Saint-Gervais - Pantin - Belleville et la Courtille - Ménilmontant - Romainville - Charonne - Bagnolet - Montreuil-sous-Bois - Vincennes - Saint-Mandé - Bercy, la Rapée, la Grande Pinte, Ivry-sur-Seine, la Gare, les Deux Moulins, Austerlitz, le Port à l'Anglais - Vitry-sur-Seine - Gentilly - la Maison-Blanche - la Glacière - Bicêtre - Montrouge - Vaugirard - Plaisance - Issy - Vanves - Grenelle

DEUXIEME SECTION
LES FORTIFICATIONS

TROISIEME SECTION
LES CHEMINS DE FER
Chemins de fer de ceinture - Chemins de fer de l'Ouest - Chemins de fer du Nord, de Paris à Compiègne - Chemins de fer de l'Est, de Paris à Lagny, à Nogent-sur-Marne et à La Varenne-Saint-Maur - Chemin de fer d'Orléans, de Paris à Corbeil et à Saint-Michel - Chemins de fer de Sceaux et d'Orsay - Chemins de fer de l'Ouest, de Paris à Rambouillet

QUATRIEME SECTION
LES ROUTES DE TERRE
De Paris à Senlis - De Paris à Dammartin, à Nantouillet et à Juilly - De Paris à Ermenonville et à Mortefontaine - De Paris à Luzarches, par Ecouen - De Paris à Gonesse

CINQUIEME SECTION
LES BATEAUX A VAPEUR

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Commentaire :


La couverture de l'ouvrage est ornée d'un grand écusson couronné composé des armoiries de quatre villes royales et impériales : Versailles, Fontainebleau, Compiègne et Saint-Germain-en-Laye.


L'ancien propriétaire de l'ouvrage a laissé son nom, tracé à la plume et à l'encre noire, sur la page de garde : " P. Boizot ".


Il signe à nouveau à l'encre rouge au dos de la carte de la forêt de Fontainebleau, entre les pages 662 et 663, en précisant son adresse postale : " 34. r. St Petersbourg. / Paris "

La carte du bois de Boulogne, qui a été découpée, est manquante, ainsi que celle des environs de Paris, qui n'est plus dans son étui. 

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[Page de titre]

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L'article sur Sceaux fait suite, à la page 727, à celui évoquant Fontenay-aux-Roses, dans la sous-section consacrée aux chemins de fer de Sceaux à Orsay.


" ...
Les environs de Fontenay-aux-Roses sont sillonnés de chemins ou de sentiers entre lesquels les promeneurs n'ont que l'embarras du choix. Nous les indiquerons plus loin. Montons d'abord à Sceaux.
De la station de Fontenay à l'embarcadère de Sceaux, la distance n'est, en ligne directe, que de 150 mètres environ. La différence de niveau est de 22 mètres (...). Pour gravir cette côte rapide en ligne droite, il eût fallu établir un plan incliné d'environ 3 centimètres par mètre. Les constructeurs ne l'ont pas voulu. La loi de concession leur imposait, d'ailleurs, l'obligation de faire cette ascension au moyen de lacets et de courbes à faibles rayons. On s'élève donc, en décrivant des zig-zags, de la station de Fontenay-aux-Roses à la gare de Sceaux, où la voie forme une raquette comme à la gare de Paris. Avant de s'arrêter devant la marquise, sous laquelle les voyageurs attendent le signal du départ, on remarque, sur la droite, les derniers débris de l'ancien parc de Sceaux.

SCEAUX.

Distances. Sceaux est à : 2 kil. de la station de Fontenay, 11 kil. de la gare de Paris, 10 kil. 800 mèt. de Paris, 1 kil. 900 mèt. de Fontenay, 1 kil. 700 mèt. de Bourg-la-Reine, 3 kil. 1/2 du Plessis-Picquet et d'Aulnay, 2 kil. 800 mèt. de Bagneux, 2 kil. de Chatenay par la route, 1 kil. 1/2 par les chemins de traverse, 4 kil. 300 mèt. d'Antony, 4 kil. de Verrières, de 7 à 8 kil. de Verrières et d'Igny par le bois de Verrières.
Omnibus. Pour aller de Paris à Sceaux, on peut prendre les gondoles de Sceaux et les Sirènes. Les gondoles de Sceaux partent à Paris du passage Dauphine, 12 départs par jour. On paye :

Semaine        Dimanches et fêtes
De Paris à
cent.                                    cent.
Montrouge                                                        50                                            60
La Croix d'Arcueil                                            50                                            60
              Antony                                                              50                                            70
Sceaux                                                              50                                            70

Les Sirènes desservent Amblainvilliers en passant par Sceaux. Leur bureau est à Paris, rue Christine, 12, et rue Dauphine, 33. Un départ par jour en semaine, deux les dimanches. On paye : 

Semaine        Dimanches et fêtes
De Paris à
fr. c.                                    fr. c.
Bourg-la-Reine                                                       50                                      60
Sceaux                                                                    50                                      60
Châtenay                                                                 75                               1  [60]
Aulnay                                                                     75                               1  [60]
Verrières                                                            1  [75]                              1  [75]
Amblainvilliers                                                 1  [75]                              1  [75]

Restaurateurs. En sortant de la gare, on trouvera, dans la grande rue de Sceaux, qui s'ouvre à droite, au-delà de la mairie et de l'entrée du parc, plusieurs pâtissiers et restaurateurs.

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[pages 728-729]

Sceaux, actuellement le chef-lieu de l'arrondissement et du canton de ce nom (département de la Seine), est fort agréablement situé sur une colline, dont le point culminant atteint 102 mètres au-dessus du niveau de la mer, entre Bourg-la-Reine à l'est, Fontenay-aux-Roses au nord, Chatenay au sud, Aulnay et le Plessis-Picquet à l'ouest. Sa population se monte à 2000 habitants environ. Sa position est si agréable et si salubre, ses environs offrent de tous côtés de si délicieuses promenades, qu'un nombre considérable de Parisiens et d'étrangers viennent s'établir, pendant la belle saison, dans les jolies villas qui l'entourent.
L'origine de la petite ville de Sceaux ne paraît pas remonter au-delà du XIIe siècle. Les premiers titres qui en font mention la nomment Cellae (les Petites-Maisons). Sceaux n'était alors qu'un modeste hameau dépendant du village de Chatenay ; seulement, avec le temps, le hameau est devenu une ville, tandis que le village est resté village comme devant. En 1214, un chevalier qui revenait de Palestine, Adam de Cellis [en note : Quelques écrivains prétendent que ce fut lui qui donna son nom au hameau de Sceaux], y apporta les reliques de Saint-Mammès, martyr de Cappadoce, qui donna son nom à l'église. Saint Mammès opérait des miracles ; il guérissait les maladies d'entrailles : aussi vint-on à Sceaux en pèlerinage, et, plus il régnait de dy[s]enteries et de coliques, plus le hameau voyait grandir sa petite fortune. En 1597, Louis Potier de Gesvres, qui venait d'acheter la terre de Sceaux, y bâtissait le premier château ; Antoine Potier, secrétaire d'Etat, le faisait ériger en châtellenie (1612), et, après sa mort au siège de Montauban, en 1621, le laissait à son frère, René Potier, duc de Tresmes et pair de France. Trois ans plus tard, la châtellenie se transformait en baronnie, et, grâce à la haute position de son seigneur, Sceaux accaparait les foires et les marchés qui jusque-là s'étaient tenus à Bourg-la-Reine.
Cependant Sceaux serait probablement resté un humble village si sa bonne fortune n'eût voulu que Colbert en devînt acquéreur (1670). Le petit château dont s'étaient contenté les Potier ne pouvait évidemment suffire au puissant ministre de Louis XIV ; aussi commença-t-il par le raser ; puis, quand il eut acheté de tous côtés des maisons et des terres pour s'agrandir, il confia à Perrault la construction de sa nouvelle demeure, à Le Nôtre la création d'un immense parc de plus de six cents arpents. Le peintre Lebrun fut chargé de la décoration du château, les sculpteurs Puget et Girardon ornèrent les bosquets des chefs-d'œuvre de leur ciseau ; enfin, des aqueducs amenèrent dans le parc les eaux d'Aulnay, des Vaux-Robert, de l'étang du Plessis-Picquet, et l'on multiplia les bassins, les jets d'eau, les cascades. Colbert, qui était fier des merveilles de son domaine, et qui venait y passer tous les moments dérobés à la cour, y donna des fêtes magnifiques. Deux fois il reçut la visite de Louis XIV. Il aimait à s'y entourer de gens de lettres, de savants et d'artistes, et souffrait malaisément qu'on le dérangeât, quand il était dans leur société. On raconte qu'un jour il s'entretenait avec Racine et Boileau, lorsqu'on vint lui annoncer l'arrivée d'un prélât qui désirait visiter le château et le maître du château. "Qu'on lui fasse tout voir, s'écria Colbert, tout...hormis moi." Bien que peu instruit lui-même, Colbert fut toute sa vie le protecteur des lettres et des beaux-arts.

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Auguste TRICHON (1814-1898), d'après Emile THEROND (1821-1883), Ancien château de Sceaux, vers 1856, bois de bout imprimé, 6,5 x 8 cm, vignette de la page 729

Le marquis de Seignelay, fils de Colbert et ministre de la marine, n'hérita pas du goût de son père pour le château de Sceaux. Il y venait rarement ; mais cependant il consacra encore des sommes importantes à l'embellissement de ce domaine. En 1685, il y fut honoré, comme son père, d'une visite du roi, qui daignait dîner chez son ministre. Seignelay "avait fait dresser un joli pavillon en tenture, orné de glaces et d'arbustes en fleurs, en face d'une pièce d'eau, dans l'endroit le plus charmant du parc. Derrière étaient placés des musiciens qui jouaient de temps en temps de jolis morceaux de musique. Puis il avait fait faire des gondoles à roulettes, en forme de petits chars, dans lesquelles on promenait les dames de la cour dans le parc : un homme de chaque côté les poussait." (Sinet, Précis de l'histoire de Sceaux).
Sauf quelques fêtes assez rares, le domaine de Sceaux, malgré ses splendeurs, ressemblait donc quelque peu à une solitude ; il n'en allait faire que plus de bruit et jeter plus d'éclat. En 1700, le fils légitimé de Mme de Montespan, l'élève bien aimé de François d'Aubigné, le duc du Maine enfin, en fit l'acquisition. La duchesse sa femme, petite-fille du Grand Condé, passionné pour le plaisir et pour les fêtes, y eut bientôt réuni une véritable cour, cour galante et lettrée tout à la fois. Tandis que le duc, retiré dans une petite tourelle, s'occupait de géométrie et d'astronomie, dessinait de nouveaux bosquets, traçait le plan de nouveaux pavillons, la duchesse présidait, dans un appartement qu'elle appelait sa Chartreuse, de joyeuses réunions d'où son mari était exclu. "C'était, dit Saint-Simon, une femme dont l'esprit, et elle en avait infiniment, avait achevé de se gâter et de se corrompre par la lecture des romans et des pièces de théâtre, dans les passions desquelles elle s'abandonnait tellement, qu'elle a passé des années à les apprendre par cœur et à les jouer publiquement elle-même." Ce fut en effet la duchesse du Maine qui fit construire la salle de spectacle du château de Sceaux ; le duc, qui était d'une dévotion un peu outrée, s'y serait volontiers opposé ; mais elle l'avait rendu (c'est encore Saint-Simon qui parle) "petit et souple devant elle en le traitant comme un nègre, le ruinant de fond en comble sans qu'il osât proférer une parole... L'ascendant qu'elle avait sur lui était incroyable, et c'est à coups de bâton qu'elle le poussait en avant."

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[pages 730-731]

Malé[z]ieu, à qui la duchesse avait fait présent d'une maison à Chatenay, était le grand ordonnateur des fêtes ; l'abbé Genest, homme d'esprit, se montrait un des courtisans les plus assidus ; Vertot, ce grand faiseur de sièges, poursuivait patiemment celui de Mlle Delaunay : mais, s'il faut en croire les assiégés, la place ne se rendit point. A Sceaux, pendant toute la saison d'été, les divertissements se succédaient sans relâche ; c'était à qui inventerait une récréation nouvelle ; bientôt les jours (ces grands jours d'été !) parurent trop courts à cette société avide de plaisirs, et l'on imagina de se divertir la nuit. Sceaux eut donc ses grandes nuits avec ses ballets, spectacles, concerts, feux d'artifice, joutes sur l'eau, simulacres de sièges, etc. "Leur commencement, comme de toutes choses fut très-simple, dit Mlle Delaunay. Mme la duchesse du Maine, qui aimait à veiller, passait souvent toute la nuit à faire différentes parties de jeu. L'abbé de Vaubrun, un de ses courtisans les plus empressés à lui plaire, imagina qu'il fallait, pendant une des nuits destinées à la veille, faire paraître quelqu'un sous la forme de la Nuit, enveloppée de ses crêpes, qui ferait un remerciement à la princesse de la préférence qu'elle lui accordait sur le Jour ; que la déesse aurait un suivant qui chanterait un bel air sur le même sujet... L'idée en fut applaudie et de là vinrent les fêtes magnifiques données la nuit par différentes personnes à Mme la duchesse du Maine... La dernière de ces fêtes fut toute de moi, et donnée sous mon nom, quoi que je n'en fisse pas les frais. C'était le Bon-Goût réfugié à Sceaux, et présidant aux diverses occupations de la princesse. D'abord il amenait les Grâces qui, en dansant, préparaient une toilette. D'autres chantaient des airs dont les paroles convenaient au sujet. Cela faisait le premier intermède. Le second, c'étaient les Jeux personnifiés qui apportaient des tables à jouer et disposaient tout ce qu'il fallait pour le jeu ; le tout mêlé de danses et de chants par les meilleurs acteurs de l'Opéra. Enfin le dernier intermède, après les reprises achevées, étaient les Ris, qui venaient dresser un théâtre sur lequel était représentée une comédie en un acte : c'était la découverte que Mme la duchesse du Maine prétendait faire du carré magique, auquel elle s'appliquait depuis quelque temps avec une ardeur incroyable. La pièce était jouée par elle, chacun représentait son propre personnage."
Ce fut aussi à Sceaux, quelques années après en avoir fait l'acquisition, que la duchesse du Maine fonda le grand ordre de la Mouche à miel, dont la devise était : Picola si, ma fa pur gravi le ferite [en note : Elle est petite, mais les blessures qu'elle fait sont grandes]. "La duchesse en était la reine. Elle portait une robe de satin vert brodée d'abeilles d'argent, un manteau de drap d'or et un diadème formé de mouches en émeraude. M. de Malézieu en était le grand maître ; il était entièrement déguisé en abeille.
Le héraut était vêtu d'une robe de satin incarnat semée d'abeilles d'argent, et coiffé d'un bonnet en forme de ruche. Les chevaliers, au nombre de trente-neuf, avaient des cottes de drap d'or semées d'abeilles d'argent et étaient décorés d'une médaille emblématique attachée avec un ruban citron. A la réception des chevaliers, on avait placé une énorme ruche au milieu du tapis vert semé d'abeilles d'argent. Dès que tout le monde fut placé, on enleva le haut de cette ruche, qui prit la forme d'un baldaquin. Alors apparut M. de Malé[z]ieu, comme placé sur un trône et déguisé en une monstrueuse mouche à miel, allongeant un dard de trois pieds de long. Tout étant ainsi disposé, le héraut lut les statuts de l'ordre, dont les principales conditions étaient d'être soumis aveuglément aux volontés de la reine, de respecter les mouches à miel, et même de se laisser piquer galamment par elles. Chaque récipiendaire devait jurer, par le mont Hymette, de les observer religieusement, sous peine d'être banni de l'ordre. Tout se termina par une ronde générale autour du grand maître, qui menaçait de son dard les chevaliers qui pourraient devenir félons. Quand un chevalier manquait, on choisissait parmi les aspirants, qui étaient toujours en grand nombre, et la nomination se faisait à la majorité des voix." (Sinet.) Ajoutons que l'ordre de la Mouche à miel ne comptait pas seulement des chevaliers, mais aussi des chevalières.
Parmi ces divertissements, des scènes plus sérieuses trouvaient aussi leur place. C'est à Sceaux, il ne faut pas l'oublier, que Louis XIV prit congé de son petit-fils partant pour monter sur le trône d'Espagne : il avait voulu l'accompagner jusque-là.
Le grand roi mort, les fêtes n'en allèrent pas moins leur train à la cour de Sceaux ; seulement les intrigues politiques, les conspirations contre le Régent, remplissaient les intermèdes. On sait quel en fut le résultat : une belle nuit  (ce fut aussi une grande nuit que celle-là, mais d'un autre genre), on enleva la duchesse à Paris, le duc à sceaux, et on les conduisait , l'une à la citadelle de Dijon, l'autre à celle de Dou[llens]. Pendant une année que dura cette captivité, le duc eut le temps de réfléchir sur les inconvénients d'une ambition qu'il ne partageait pas ; aussi fallut-il de longues et vives instances pour le ramener à Sceaux auprès de sa femme. Après la mort de son mari (1736), la duchesse renonça définitivement à la politique, et se livra plus que jamais, afin de charmer son veuvage, à sa double passion pour les belles-lettres et pour les plaisirs. Jamais sa cour n'avait été plus brillante : Voltaire, Fontenelle, Lamotte, Chaulieu, en étaient les principaux ornements.

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[pages 732-733]

Voltaire, à qui l'on avait proposé d'acheter une charge d'écuyer chez la duchesse du Maine, et qui sut sagement résister à la tentation, avait à Sceaux un appartement occupé avant lui par Saint-Aulaire [en note : Saint-Aulaire est connu surtout par ce charmant impromptu, en réponse à la duchesse du Maine qui lui demandait un secret : La divinité qui s'amuse / A me demander mon secret, / si j'étais Apollon ne serait point ma muse ; / Elle serait Thétis, et le jour finirait], que la duchesse du Maine appelait son Apollon et son berger. C'est là que Voltaire composa trois de ses tragédies, Sémiramis, Oreste et Rome sauvée. La tragédie d'Oreste est dédiée à la duchesse du Maine, qui paraît avoir eu un goût très-vif pour la simplicité du théâtre ancien, car elle avait fait traduire par Malé[z]ieu l'Iphigénie en Tauride d'Euripide, et avait voulu jouer elle-même le personnage d'Iphigénie. Quant à Rome sauvée, c'est aussi à ce qu'on croit, une inspiration de la duchesse, qui voulait venger Cicéron du Catalina de Crébillon. En 1747, Voltaire faisait encore représenter sur le théâtre de Sceaux une comédie imitée de l'anglais, la Prude, dont il récitait lui-même le prologue, et le ton passablement libre de cette pièce montre assez qu'à la cour de Sceaux, on pouvait tout dire et tout entendre. Enfin, c'est pour la fête de la baronne de Sceaux que Voltaire donnait au château d'Anet l'Echange ou Quand est-ce qu'on me marie ? Ces souvenirs littéraires, qu'aucun historien de Sceaux n'a recueillis, à notre connaissance, ne sont pas indignes d'être rappelés.
La période brillante du château de Sceaux finit avec la duchesse du Maine, qui mourut en 1753. Son fils aîné, le prince de Dombes, le posséda deux années, puis se fit tuer dans un duel par le maréchal de Coigny et le laissa à son second frère, le comte d4eu, qui, tout en ajoutant, de nouveaux embellissements à cette demeure déjà si somptueuse, y vécut vingt ans dans une sorte de retraite.  Le duc de Penthièvre, cousin du comte d'Eu et beau-père de l'infortunée princesse de Lamballe, hérita du domaine en 1775 et le conserva jusqu'à la Révolution. Il le donna alors à la duchesse d'Orléans, sa fille, qui n'en jouit pas longtemps, la Convention ayant mis sous le séquestre les biens des princes du sang. Le duc de Penthièvre venait peu à Sceaux ; il y réunissait cependant quelquefois des gens de lettres. Florian, d'abord page, puis gentilhomme du duc, aimait le séjour de Sceaux, où il composa une partie de ses Pastorales. Les habitants le nommèrent, en 1790, commandant de la garde nationale ; il y mourut en 1794.
Sceaux embrassa avec ardeur la cause de la Révolution ; ses fêtes patriotiques en l'honneur de l'Agriculture, de la Vieillesse, de la Liberté, y attirèrent une foule immense de tous les environs et de Paris même, et redonnèrent un peu de vie au parc et au château, qui en étaient le théâtre. Cependant, en 1798, le domaine, qu'on avait destiné d'abord à devenir une école d'agriculture, fut mis en vente ; l'acquéreur fit abattre les arbres du parc, démolir le château et les cascades, et se trouva en possession d'une ferme magnifique [en note : L'acquéreur se nommait Lecomte. Sa fille a épousé M. le marquis, depuis duc, de Trévise, qui, en 1834, a fait fermer l'ancien parc jusqu'alors ouvert au public]. On peut juger de son étendue, car elle est tout étendue de murs. Heureusement, avant la vente, une commission de savants et d'artistes avait fait transporter au Luxembourg et aux Petits-Augustins l'Hercule gaulois de Puget, la statue de Diane, le groupe des Lutteurs, le Silène, l'Antinoüs ; mais la chapelle, peinte à fresque par Lebrun, fut détruite. L'année suivante (1799), on allait abattre la partie du parc connue sous le nom de Ménagerie ; déjà le pavillon était rasé, lorsqu'une société de propriétaires fit l'acquisition de ce petit domaine, qu'on appelle aujourd'hui le Parc. C'est là tout ce qui reste de la somptueuse demeure bâtie par Colbert et embellie à grands frais par la duchesse du Maine ; mais aussi c'est là qu'ont lieu depuis près de soixante ans ces bals célèbres qui, sous la Restauration et le gouvernement de Juillet, ont donné tant de vogue à la petite ville de Sceaux.
A vrai dire, l'origine du bal de Sceaux remonte à la Révolution française ; on dansait alors dans la grande allée du parc et dans un rond-point près du petit château. Bientôt on adopta un massif de marronniers qui se trouvait au beau milieu de la ménagerie, et on y dressa une tente en toile, peu de temps après convertie en une magnifique rotonde ovale, dont les arbres du parc ont fourni les matériaux. C'est là qu'ont dansé nos pères, les muscadins et les incroyables du Directoire ; c'est là que notre génération a dansé il y a quelque dix ou quinze ans ; c'est là enfin, il faut l'espérer, si les bonnes traditions ne se perdent pas, que danseront nos enfants et nos petits-enfants. Où pourrait-on, d'ailleurs, trouver pour la danse en plein air une salle plus magnifique ? Sans doute les illuminations de Mabille, du Château-Rouge et du Château des Fleurs sont plus splendides, leurs orchestres mieux nourris, leurs feux d'artifice plus brillants ; mais on y est à l'étroit, on y étouffe : ces grandes cohues ressemblent à un bal champêtre comme les quatre caisses de rosiers ou de lauriers entassées par le propriétaire bourgeois sur le plomb de la terrasse donnent l'idée d'un jardin en pleine terre à Bagneux ou à Fontenay. Sous la Restauration, un bal à Sceaux était une affaire de luxe et de mode, car les communications entre Paris et la petite ville n'étaient pas aussi faciles qu'aujourd'hui. On y voyait donc beaucoup de beau monde et de riches toilettes. Depuis l'établissement d'un chemin de fer, appelé à juste titre un chemin de promenade, Sceaux s'est un peu humanisé ; le commis et la grisette avaient même fini par y dominer, il y a quelques années, et le grand monde s'en était éloigné. Aujourd'hui l'on n'y rencontre pas encore beaucoup de marquis et de duchesses, mais on peut dire que toutes les classes, depuis la grande dame jusqu'à la simple paysanne, s'y trouvent représentées. C'est donc un coup d'œil curieux qu'un bal de Sceaux pendant une belle soirée d'été ; sous ces marronniers séculaires se croisent les costumes les plus bariolés, les toilettes les plus disparates ; l'humble bouquetière de Fontenay y coudoie l'élégante de la Chaussée-d'Antin ; l'honnête fils de cultivateur y fait vis-à-vis à la fine fleur de nos magasins : c'est là l'égalité, au moins devant la danse, et là-bas, dans ces profondeurs discrètes qu'éclaire à peine un quinquet fumeux, on pourrait surprendre plus d'un doux entretien. A onze heures, les danses cessent, le feu d'artifice éclate, la cloche du chemin de fer annonce le dernier départ ; hâtons-nous et tâchons de trouver place : car, bien qu'on entende dire de tous côtés que le bal de Sceaux n'est plus de mode, jamais il n'a été plus fréquenté.

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[pages 734-735]

Vu de jour, le parc de Sceaux ne manque pas de charme : depuis la terrasse, la vue s'étend au-delà des coteaux de l'Hay ; on domine le vallon de Fontenay et celui de Bourg-la-Reine. De magnifiques allées couvertes invitent le promeneur ; une fraîche pelouse et quelques plates-bandes assez bien entretenues les séparent ; mais il n'y faut chercher aucun des chefs-d'œuvre dont Puget et Girardon avaient semé les bosquets de Colbert. Tout au plus remarque-t-on, au milieu d'un rond de gazon, un piédestal fort simple, surmonté d'une rune tout aussi simple. C'est un tomba dont l'inscription a disparu ; un tombeau dans ce lieu de plaisirs et de fêtes ! Oui, mais rassurons-nous : sous ce monument funéraire repose un chat, le chat favori de la duchesse du Maine. L'épitaphe disait :

CI-GÎT
MAR-LA-MAIN
LE ROI DES ANIMAUX.

Laissons-le dormir en paix.
Un peu plus bas que la grille du parc, et vis-à-vis de l'entrée du chemin de fer, se trouve l'église. La chapelle de Saint-Mammès, quoique agrandie sous Louis XI, était devenue trop petite pour une population toujours croissante. On la rebâtit au XVIIe siècle, et on voit encore sur les médaillons de la voûte du chœur le chiffre de Colbert, qui acheva l'œuvre commencée par le duc de Tresmes. Peu remarquable à l'extérieur, malgré le petit clocher dont la république de 1848 l'a embellie, l'église de Sceaux renferme un admirable chef-d'œuvre, un groupe en marbre de Puget, représentant le Baptême de Jésus-Christ, qui se trouvait autrefois dans la chapelle du duc du Maine. La nef principale et les chapelles sont décorées de tableaux assez nombreux, mais dont aucun n'a une grande valeur. Il n'en est pas de même d'un petit médaillon en marbre blanc, placé devant l'autel de la Vierge, et qui représente la sainte Vierge couronnée par l'enfant Jésus.
De l'église au cimetière, la transition est naturelle, quoiqu'ils ne soient pas voisins l'un de l'autre : le cimetières des Acacias se trouve sur la route de Sceaux au Plessis. Si nous vous y conduisons, ce n'est pas qu'il n'y ait rien à admirer ; mais sur une simple pierre on lit l'inscription que voici :

ICI
REPOSE LE CORPS
DE FLORIAN
HOMME DE LETTRES

Un peu plus loin, sous un cyprès, est le tombeau de Cailhava, l'auteur du Tuteur dupé.
Donnons un coup d'œil à la Maison des Pauvres, rue Picpus, ancienne infirmerie du château, à la maison qu'on appelle encore le Petit-Château, et nous aurons à peu près tout vu ; car Sceaux, cette jolie petite ville propre et coquette, n'est pas riche en monuments. Elle n'en avait qu'un, le château : la Révolution l'a jeté à terre. La mairie est insignifiante ; l'hôtel de la sous-préfecture ne présente rien de remarquable, du moins à 'extérieur.
Les amateurs de beaux bœufs et de gras moutons peuvent venir à Sceaux le lundi, jour du marché aux bestiaux : ils auront de quoi se contenter. Ce marché est toujours celui qui fut enlevé à Bourg-la-Reine par le crédit du duc de Tresmes, et, à proprement parler, il se tient à Bourg-la-Reine, sur la route de Paris, à l'extrémité d'une magnifique avenue de peupliers qui conduisait jadis à la grille du château de Sceaux. On pourra se faire une idée du mouvement, de l'animation et de l'importance de ce marché, quand on saura qu'il s'y vendait tous les lundis, en 1855, de 11 à 1200 bœufs et vaches, de 5 à 600 veaux et de 9 à 10 000 moutons. Ces chiffres ont certainement augmenté. Il est, du reste, sérieusement question de transférer ce marché à Paris.
L'industrie manufacturière est presque nulle à Sceaux. La véritable industrie de Sceaux, comme de toute la banlieue sud de Paris, c'est la petite culture, la culture maraîchère. "

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Commentaire :

Adolphe Joanne dresse l'état de la question sur l'histoire du domaine de Sceaux au milieu du XIXe siècle. Il tire une partie de ses informations du Précis sur l'histoire de Sceaux (1843-44) de Sinet. Dans son texte, quelques informations sont inexactes : Colbert ne détruisit pas le château de ses prédécesseurs, mais l'enveloppa d'une nouvelle construction afin d'en obtenir une plus vaste. Un peu plus loin, contrairement à ce qui est écrit, ce n'est pas la duchesse mais le duc du Maine, qui offrit la seigneurie de Châtenay à Nicolas de Malézieu.

Enfin, Joanne ne distingue pas clairement le grand parc, actuel domaine de Sceaux, du "petit parc", désormais jardin de la Ménagerie, créé pour la duchesse du Maine, qui accueillit le fameux bal de Sceaux au début du XIXe siècle.

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SCEAUX ILE-DE-FRANCE MONO02

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