SCEAUX (92) - REVUES

 


"Le château et le parc de Sceaux"
quatre pages extraites de la revue Le Magasin pittoresque
1846, t. XIV, n° 40, p. 313-318
28,9 x 19,2 cm
Ham-Paris, collection Beaurain

***

(Entrée de l'ancien château de Sceaux dans l'état actuel.)

" La célébrité de Sceaux a commencé en 1214 avec les reliques de saint Mammès, martyrisé en Cappadoce, qui y furent apportées par le chevalier Adam de Cellis. Ces reliques que l'on conservait dans l'église de Sceaux, étaient, dit-on, très efficaces pour guérir différentes maladies, et attiraient un grand nombre de pèlerins.
En 1597, la terre de Sceaux fut achetée par Louis Potier de Gesvres, qui y bâtit le premier château. L'un de ses descendants, Antoine Potier, secrétaire d'Etat, obtint en 1612, des lettres-patentes, par lesquelles Sceaux fut érigé en châtellenie ; mais bientôt après il fut tué au siège de Montauban ; sa châtellenie passa à son frère René Potier, duc de Tresme, pari de France, et en 1624, Sceaux, par de nouvelles lettres-patentes, était devenue une baronnie.
En 1670, Colbert acheta des héritiers du duc de Tresme la terre de Sceaux, dont il fit démolir le château pour en construire un beaucoup plus magnifique. Le Nostre dessina les jardins, Lebrun peignit à fresque tout le dôme de la chapelle, Girardon et Puget peuplèrent de leurs chefs-d'œuvre le parc et le château. Des sommes énormes furent ainsi consacrées à l'embellissement de ces lieux, où affluèrent et la cour et la ville. Dns ce séjour favori, Colbert se plaisait à rassembler les savants, les hommes distingués en tout genre ; il eut bientôt l'honneur d'y recevoir à deux fois différentes la visite de Louis XIV, et les fêtes qu'il donna rivalisèrent avec celles de Versailles et de Marly.
Le marquis de Seignelay, fils de Colbert, ajouta encore à Sceaux de nouveaux embellissements ; il y fut aussi honoré d'une visite royale en 1683.
Après sa mort, le duc du Maine, l'aîné des princes légitimés (en note : Fils de Louis XIV et de madame de Montespan, né en 1670), fit acquisition de la terre de Sceaux. Nous lisons à ce sujet, dans les Mémoires de Saint-Simon : "M. du Maine acheta (en 1700) des héritiers de M. de Seignelay la belle et délicieuse maison de Sceaux, où M. Colbert, et beaucoup plus M. de Seignelay, avaient mis des sommes immenses. Le prix fut de 900 000 livres, qui allèrent bien à un million avec les droits, et si (en note : Si pour cependant) les héritiers en conservent beaucoup de meubles et pour plus de 100 000 livres de statues dans les jardins." C'était le roi lui-même qui avait voulu faire pour son fils les frais d'une telle acquisition.

***
[p. 314-315]

Sceaux fut alors dans toute sa gloire. Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, petite-fille du Grand Condé, duchesse du Maine, l'une des femmes les plus aimables, les plus spirituelles, les plus brillantes de son temps, vint établir à Sceaux sa cour pleinière, et auprès d'elle accoururent à l'envie les arts, les lettres, les plaisirs de toutes sortes, bannis désormais de Versailles, où le grand roi achevait tristement de vieillir. Les personnages les plus nobles et les plus importants briguèrent l'honneur d'être admis aux fêtes de la duchesse ; le président de Mesme, le cardinal de Polignac, les d'Harcourt, les d'Estrées, les de Choiseul, les du Mirepoix, vingt autres noms de l'ancienne cour, plus illustres les uns que les autres ; puis la foule compacte de tous les gens de lettres renommés, de tous les beaux esprits alors en crédit ; Fontenelle, Chaulieu, Destouches, Voltaire, La Fare, Malezieu, la Motte-Houdard, le président Hénault, Saint-Aulaire, mademoiselle Delaunay, etc., etc. C'était de toutes parts une telle affluence, que l'immense château devenait trop étroit pour loger la multitude de ses hôtes ; on y était encombré, mal à l'aise ; les femmes de la duchesse ne savaient pas où se loger, Mademoiselle Delaunay, plus tard Mme de Staal, lectrice favorite de madame du Maine, raconte dans ses Mémoires, qu'on lui donna pour logement, à Sceaux, une sorte de spelonque, qu'elle était encore obligée de partager avec la première femme de chambre de la duchesse : 'C'étoit, nous dit-elle, un entresol si bas et si sombre que j'y marchois pliée et à tâtons ; on ne pouvoit y respirer faute d'air, ni s'y chauffer, faute de cheminée...'
Dire tous les divertissements, toutes les fêtes dont Sceaux fut le théâtre, nous serait vraiment impossible ; on a fait de gros volumes sur ce seul sujet, et nous nous bornerons à tirer des Mémoires contemporains quelques descriptions de ces plaisirs toujours renaissants et toujours variés. Au témoignage de Saint-Simon, 'la duchesse jouoit elle-même Athalie avec des comédiens et des comédiennes, et d'autres pièces plusieurs fois la semaine. Nuits blanches en loteries, jeux, illuminations, feux d'artifices, en un mot, fêtes et fantaisies de toutes sortes et de tous les jours. Elle nageoit dans la joie de sa nouvelle grandeur, elle en redoublait ses folies, et le duc du Maine, qui trembloit toujours devant elle et craignoit de plus que la moindre contradiction achevât de lui tourner la tête, souffroit tout cela jusqu'à en faire piteusement les honneurs...'
Mais il faut nous mettre en garde contre l'extrême sévérité de Saint-Simon, lequel, avec une grande partie de la haute noblesse, était l'ennemi déclaré des princes du sang légitimés. Ceux qui approchèrent madame du Maine et jouirent des agréments de sa société, l'ont jugée avec plus de faveur, sans doute aussi avec plus de justice. 'Personne, dit madame de Staal, n'a jamais parlé avec plus de justesse, de netteté et de rapidité, ni d'une manière plus noble et plus naturelle. Son esprit n'emploie ni tour ni figure, ni rien de tout ce qui s'appêle invention ; frappé vivement des objets, il les rend comme la glace d'un miroir les réfléchit, sans ajouter sans omettre, sans rien changer.'
Ces dons heureux de l'esprit devaient faire rechercher à la duchesse les plaisirs de la conversation : elle aimait à réunir dans ses salons et ses jardins les gens instruits, et possédant l'art si difficile du bien lire. Devant elle, le cardinal de Polignac ébauchait, tout en conversant, son Anti-Lucrèce, et Malezieu, l'universel Malezieu, poète, géomètre, helléniste, traduisait à livre ouvert, couramment, les tragédies de Sophocle et d'Euripide.
Dans ses divertissements même, la princesse voulait, suivant un mot de Fontenelle, que la gaieté eut de l'esprit. Des enchanteurs, des planètes, des lutins, des moissonneurs, des astronomes, des héroïnes, des preux, des cyclopes, des bohémiens, des dryades, figurent tour à tour dans ces fêtes improvisées. Tantôt des quilles, qui renferment d'agiles sauteurs, se dressent, se rangent ou se renversent d'elles-mêmes ; tantôt des joueurs de brelan ou de lansquenet, habillés en rois de trèfle, ou valets de pique, en dames de cœur, se mêlent dans leurs entrées dans leurs pas, avant de s'asseoir à la même table. Des danses toujours nouvelles, danses à caractères, danses de fantaisie, sous les noms les plus divers et les plus étranges. - Dans un divertissement intitulé : l'Opérateur, Malezieu, qui remplit le principal rôle, tire de sa boutique une fiole avec cette étiquette : Esprit de contredanse ; puis il dit : 'La liqueur que vous voyez a des vertus qu'on ne pourroit expliquer en un siècle. Qu'on me donne la da[me] du monde la plus délicate, la plus posée, la plus sédentaire ; si elle se laisse tomber une goutte de cet esprit vers la région des jambes, vous la verrez à l'instant, plus agile qu'un lutin, tantôt s'élancer, pendant la moisson des foins, sur le haut d'une meule ; tantôt voltiger comme un ballon, et danser la Furstemberg, la Forlane, le Pistolet, l'Amitié, la Chasse, la Derviche, la Sissone, les Tricottets, et madame de la Mare (en note : Voy. le livre curieux et rare : Divertissements de Sceaux. Paris, 1725).'

.......................................... Et que les Muses et les Grâces
Jamais plus loin que Sceaux n'aillent fixer leur cour !

Tel était le poétique vœu que formait Voltaire, ravi des plaisirs sans nombre que lui offrait le somptueux séjour de Sceaux, plus ravi encore des grâces et de l'esprit de la divinité des céans, l'aimable duchesse, qui était l'âme et l'ornement de toutes ces fêtes. 'Le goût de la princesse pour les plaisirs, dit madame de Staal, étoit en plein essor, et l'on ne songeoit qu'à leur donner de nouveaux assaisonnements qui pussent les rendre plus piquants. On jouoit des comédies ou l'on en répétoit tous les jours ; on songea aussi à mettre les nuits en œuvre par des divertissements qui leur fussent appropriés : c'est ce qu'on appela les grandes nuits. Leur commencement, comme de toutes choses, fut très simple. Madame la duchesse du Maine, qui aimoit à veiller, passoit souvent toute la nuit à faure différentes parties de jeu. L'abbé de Vaubrun, un de ses courtisans les plus empressés à lui plaire, imagina qu'il falloit, pendant une des nuits destinées à la veille, faire paroître quelqu'un sous la forme de la Nuit enveloppée de ses crêpes, qui feroit un remerciement à la princesse de la préférence qu'elle lui accordoit sur le Jour ; que la déesse aurait un suivant qui chanteroit un bel air sur le même sujet...'
Dès lors le sommeil fut banni de Sceaux ; l'ordre était donné de ne jamais se coucher avant le lever de l'aurore, et l'un des poètes courtisans exorcisa en vers badins Morphée, le dieu couronné de pavots :
        
        Quitte nos champs délicieux,
    Détestable sommeil ; va dans de sombres lieux...

Madame de Staal nous a donné la description détaillée d'une de ces fêtes de nuit, dont le divertissement était tout entier de sa composition : 'C'étoit, dit-elle, le bon Goût réfugié à Sceaux, et présidant aux diverses occupations de la princesse. D'abord il amenait les Grâces qui, en dansant, préparoient une toilette ; d'autres chantoient des airs dont les paroles convenoient au sujet. Cela faisoit le premier intermède. Le second, c'étoient les Jeux personnifiés, qui apportoient des tables à jouer et disposoient tout ce qu'il falloit pour le jeu ; le tout mêlé de danses et de chants par les meilleurs acteurs de l'Opéra. Enfin le dernier intermède, après les reprises achevées, étoient les Ris, qui venoient dresser un théâtre sur lequel fut représentée une comédie en un acte qu'on m'obligea de faire, faute de trouver aucun poète (car on la voulut en vers) qui acceptât un pareil sujet. C'étoit la découverte que madame la duchesse du Maine prétendoit faire du carré magique auquel elle s'appliquoit depuis quelque temps avec une ardeur incroyable. La pièce fut jouée par elle, chacun représentant son propre personnage : ce qui la fit valoir, malgré la sécheresse du sujet...'
Chacune de ces grandes nuits avait un roi et une reine qui présidaient aux amusements, et exerçaient un empire absolu sur tous les conviés. Il fallait, bon gé malgré, payer de sa personne, danser, chanter, improviser des vers. Par exemple, on mettait des lettres e l'alphabet dans un sac ; chacun tirait ; qui amenait un C devait une comédie, qui tirait un F, un S, devait une fable, un sonnet ; et malheur à celui qui rencontrait la lettre O, il était débiteur d'un opéra ni plus ni moins !
L'excès de la dépense interrompit bientôt les grandes nuits, et la princesse dut chercher des divertissements nouveaux pour s'amuser pendant le jour. Elle imagina d'instituer l'ordre de la Mouche à Miel, qui avait ses lois, ses statuts, un nombre fixe de chevaliers et de chevalières, élus en chapitres avec grande cérémonie. Dès qu'il y avait une place vacante, toutes les personnes de la cour de Sceaux brigaient pour l'obtenir, et c'était l'occasion d'une foule de petits vers impromptus et d'amusements de diverses sortes, la duchesse remettait elle-même au nouvel élu la médaille de l'ordre, que nous avons figurée et décrite dans notre XIIIe tome, page 72.
Le goût du théâtre dominait toujours chez la duchesse ; après avoir représenté des pièces de sa composition ou de celle de ses courtisans, elle voulut essayer son talent dans les ouvrages des meilleurs auteurs. Elle parut sur la scène avec le comédien Baron, et joua tour à tour le rôle d'Azaneth dans Joseph, de Célimène dans le Misanthrope, et de Laurette dans la Mère Coquette, de Quinault. De graves événements politiques vinrent tout-à-coup interrompre ces plaisirs et ces fêtes, et changer en une triste solitude la brillante cour de Sceaux.
Louis XIV, pour rassurer madame de Maintenon contre l'autorité du duc d'Orléans, avait donné par son testament au duc du Maine le commandement général des troupes. Mais le lendemain même de la mort du roi son testament fut annulé par le parlement, la régence appartint au duc d'Orléans, et le duc du Maine se vit privé du commandement des troupes. De là, une hostilité presque ouverte entre le régent et l'aîné des princes légitimés, hostilité encore envenimée par la jalousie qui divisait la duchesse du Maine et la fille du régent, la duchesse de Berry. Bientôt, les intrigues commencèrent, on complota secrètement, on forma mille plans plus chimériques les uns que les autres ; une ligne fut faite entre le duc du Maine et le prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne. En même temps, pour exciter les esprits, on publiait les Mémoires du cardinal de Retz, enfouis jusque-là dans la bibliothèque du président de Mesme ; on inondait Paris de pamphlets et d'épigrammes. Mais la tête tournait à la duchesse du Maine ; sa légèreté naturelle la trahissait sans cesse, et le régent connaissait tout ce complot avant d'en avoir les preuves en main.
Le duc et la duchesse du Maine furent arrêtés à Sceaux (1718), et conduits, l'un à la citadelle de Dou[llens], en Picardie, l'autre à celle de Dijon : tous leurs amis partagèrent leur sort ; ils eurent pour la plupart la Bastille pour prison, et l'on peut voir, dans les Mémoires de madame de Staal, quelle fidélité ils conservèrent aux princes captifs ; leur invincible discrétion fut même cause que le régent, irrité, n'épargna pas les rigueurs à ses nobles prisonniers.
Rendus enfin à la liberté, le duc et la duchesse revinrent à Sceaux ; mais leur petite cour était toute dispersée ; les uns gémissaient encore en prison, les autres se tenaient prudemment à l'écart, quelques uns aussi, et des meilleurs, ne pouvaient reprendre leurs assiduités passées ; le duc les éloignait de sa personne ; il les trouvait trop compromis. Ainsi succédèrent aux beaux jours d'autrefois une vie mêlée de tristesse et d'ennuis, une sorte d'abandon, de demi-solitude pleine de regrets ; il n'y avait plus à Sceaux que quelques courtisans du malheur.
Le duc du Maine mourut en 1736 ; la duchesse lui survécut jusqu'en 1753. Après elle, Sceaux devint la propriété du comte d'Eu, son fils, et passa bientôt au dernier héritier des princes légitimés, le vertueux duc de Penthièvre.
Avec ce nouveau possesseur, Sceaux sembla reprendre une partie de son ancien état ; la maison du du duc de Penthièvre était le rendez-vous des gens les plus distingués et les plus honorables ; Florian y composa ses ouvrages les plus gracieux ; et l'on se rappelle les jolis vers qu'il fit à l'honneur de son hôte :

   Enfin de ces beaux lieux Penthièvre est possesseur ;
    Avec lui la beauté, la douce bienfaisance,
    Dans ce palais superbe habitent en silence ;
    Les vains plaisirs ont fui, mais non pas le bonheur.
    Bourbon n'invite point les folâtres bergères
        A s'assembler sous les ormeaux ;
    Il ne se mêle point à leurs danses légères,
        Mais il leur donne des troupeaux.

Florian occupait à Sceaux un petit appartement dans l'orangerie ; il vivait assidument auprèsdu duc de Penthièvre, et, chargé par lui de dispenser ses bienfaits à la ronde, nul ne connaissait mieux la bonté de cœur et la générosité de ce prince philanthrope, comme on l'appelait alors. Florian est mort à Sceaux en 1794.
La révolution entraîna la ruine du château et du parc de Sceaux, qui furent vendus en 1798, comme biens nationaux. Les acquéreurs firent abattre le château, et détruisirent le parc, pour en rendre la terre à l'agriculture. De cette magnifique propriété il ne resta plus que le jardin de la ménagerie, le logement du jardinier, la cuisine et les écuries. Le maire de Sceaux, aidé de quelques riches particuliers du pays, avait acheté le jardin de la ménagerie, séparé du parc ; il embellit encore ce jardin , et en fit une promenade publique ; sur la porte d'entrée se lisaient ces deux vers, effacés de puis peu :

    De l'amour du pays ce jardin est le gage :
    Quelques uns l'ont acquis, tous en auront l'usage

C'est sur cette promenade que se donne le bal champêtre de Sceaux, le plus renommé des environs de Paris.
Avant que le domaine de Sceaux ne fût mis en vente, d'heureuses précautions avaient été prises pour conserver les objets d'art qui pouvaient se déplacer. Une commission, composée de savants et d'artistes dont le zèle infatigable regardait comme une conquête tout monument qu'elle arrachait à la destruction, fit transporter au jardin du Luxembourg et aux Petits-Augustins l'Hercule gaulois, du Puget ; la statue de Diane en bronze, donnée à Servien par Christine de Suède ; le groupe des Lutteurs en marbre blanc ; le Silène élevant Bacchus ; l'Antinoüs ; et une foule d'autres statues et tableaux de prix. La bibliothèque, qui renfermait des éditions du premier âge de l'imprimerie, fut également transférée dans un des neuf dépôts qui existaient alors à Paris, en attendant la construction d'une vaste bibliothèque nationale. On cite même, au sujet des livres de Sceaux, une anecdote assez curieuse : il avait été décidé à cette époque, par ordre supérieur, que tous les livres de théologie, de dévotion, et autres semblables, seraient envoyés à l'Arsenal, pour qu'on en fit des gargousses. Au moment où les livres religieux de Sceaux allaient recevoir une pareille destination, un bouquiniste bien avisé accourt sur les lieux, s'entend avec le voiturier chargé du transport des volumes, et fait porter chez lui les plus précieux, qu'il expédie ensuite en Angleterre, où ils sont vendus à des prix énormes... Il est vrai que le bouquiniste fait porter en échange à l'Arsenal des rames de mauvais papier, assez bonnes néanmoins pour des gargousses.

***

A gauche : (Vue de la grotte et d'une partie du canal, dans l'ancien château de Sceaux. - D'après une estampe du dernier siècle.)
A droite : (Vue générale de l'ancien château de Sceaux prise du côté des jardins. - D'après une estampe du dernier siècle.)

Ainsi fut sauvée une partie des objets précieux contenus dans ce beau domaine, que les arts, pendant plus d'un siècle, n'avaient cessé d'embellir ; mais, sans compter les fresques de Lebrun et bien d'autres richesses inestimables, urnes, bas-reliefs, moulures, anéanties par les démolisseurs, quelle perte ne fut-ce pas que celle du château même et du parc, l'un des chefs-d'œuvre de Le Nostre ! Une longue avenue, partant de la grande route, conduisait au château, dont le principal corps de logis, situé sur la partie la plus élevée de la colline, dominait entièrement la parc et offrait aux yeux une apparence magnifique, comme celle d'une résidence royale. Le parc, de six cent soixante-deux arpents, se composait d'une multitude de parterres, bosquets, salles de verdure, allées, labyrinthes, etc. ; il était partout orné de bassins et de jets d'eau, et se terminait par un vaste canal, comme celui du parc de Versailles. A gauche, en longeant la rive orientale, on rencontrait le bassin octogone, du milieu duquel un jet d'eau s'élevait à une grande hauteur, et qui se déchargeait dans le canal par une suite de cascades très curieuses. L'allée d'eau était fort belle aussi, et faite sur le modèle de celle que nous connaissons  Versailles ; des deux côtés s'y voyait une rangée de bustes et de jets d'eau entremêlés, de sorte que chaque jet d'eau paraissait entre duex bustes, et chaque buste entre deux jets d'eau. Quant à la beauté d'ensemble, le parc n'avait pas son pareil, et nous ne pouvons mieux faire que de citer ici la poétique description que Malezieu a donnée de ces beaux jardins :
'Voyez-vous ce vallon délicieux, ce canal, cette rivière, ou plutôt cette mer, qui traverses une prairie où la nature et l'art semblent avoir disputé à qui des deux aurait aurait l'avantage ? Voyez-vous ces allées merveilleuses qui de toutes parts y aboutissent, et ces arbres disposés avec tant de symétrie, et cependant si naturellement, qu'ils semblent en effet avoir été plantés des propres mains de la nature ? Je ne sais si c'est un pressentiment, un désir, un présage, mais il me semble que le soleil répand ici une lumière vive et plus brillante qu'ailleurs, que la terre y est parfumée de fleurs plus odorantes, que l'air qu'on respire dispose le cœur à la tranquillité...'

***
[p. 318]

Sceaux n'est plus aujourd'hui qu'une petite ville assez bien bâtie, chef-lieu du second arrondissement du département de la Seine ; une manufacture, une fabrique, et les vastes bâtiments d'un marché aux bestiaux, tels sont les seuls édifices qui ont remplacé le superbe palais de Colbert ; mais la vallée, qu'un chemin de fer vient de rapprocher des portes de Paris, est toujours admirable, et, malgré la destruction du parc, ce sont encore ces beaux lieux que chanta Florian :

   Vallon délicieux, asile du repos,
    Bocages toujours verts, où l'onde la plus pure
        Roule paisiblement ses flôts,
        Et vient mêler son doux murmure
        Aux tendres concerts des oiseaux,
    Que mon cœur est ému de vos beautés champêtres !...   "


***

Commentaire :

L'auteur de cet article est bien documenté sur l'histoire du domaine de Sceaux, mais commet quelques petites erreurs dans son récit. Nous savons notamment que le grand Colbert reçut Louis XIV en 1677 et son fils, le marquis de Seignelay, en 1685.

Il connaît en revanche moins bien le plan et les beautés du jardin de Sceaux : l'illustration de la page 316, absolument fantaisiste, s'inspire manifestement d'une estampe qui ne représente pas Sceaux. Seule la première illustration, conforme à l'état du domaine en 1846, possède un parfum d'authenticité.   

***
SCEAUX DOMAINE REV14

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

SCEAUX (92) - PARTITIONS

HAM (80) - CORRESPONDANCES DE GUERRE

HAM (80) - DOCUMENTS