SCEAUX (92) - REVUES

 

Georges POISSON
" La restauration et la mise en valeur du domaine de Sceaux "
Revue du Touring Club de France, juillet-août 1955, n° 653, p. 359-361
27 x 21 cm
Ham-Paris, collection Beaurain

***
" Le 11 novembre 1923, le département de la Seine achetait pour la somme de treize millions à la princesse de Faucigny-Cystria, dernière descendante de la famille de Trévise, le domaine de Sceaux. La revue du Touring Club de France a évoqué en son temps le véritable domaine de la Belle au bois dormant  qu'était devenue la propriété de Colbert, les premiers travaux de restauration et l'aménagement du musée de l'Île-de-France. Il peut être intéressant, trente ans plus tard, de faire le point de l'œuvre considérable entreprise, de dire quels ont été depuis la guerre les travaux accomplis et d'essayer de définir l'avenir du domaine.
Quand survint 1939, on suspendit les travaux. Une partie importante du domaine avait déjà été ouverte au public : les parterres situés de part et d'autre du château, ceux du pavillon de l'Aurore, les cascades de l'Octogone, le Grand Canal, restaurés, rétablis et recréés témoignaient déjà de l'importance et de la qualité de l'œuvre entreprise par le service des Parcs et Jardins de la Ville de Paris. Dans le château, le musée de l'Île-de-France, ouvert en 1937 par M. Jean Robiquet, ancien conservateur du musée Carnavalet, avait obtenu, dès le départ, un succès encourageant.

***


La guerre interrompit cet essor. Le service des Parc et Jardins réussit, en stoppant l'effort de restauration, à maintenir durant toute l'occupation, et non sans grandes difficultés, l'entretien et le libre accès des parties aménagées. En revanche, le château, dont les collections avaient été évacuées au début des hostilités, subit une triple et successive occupation : armées française, allemande, américaine saccagèrent la demeure témoignant du caractère international de la destruction militaire.

Quand, en 1946, le musée reçut un nouveau conservateur, M. Héron de Villefosse, le grand historien de Paris, celui-ci trouva la demeure en piteux état : parquets défoncés par les voitures qu'on avait fait pénétrer à l'intérieur de l'édifice, glaces brisées à coups de révolver, décors dégradés, le tout assorti d'une odeur de caserne que l'on aurait pu croire ineffaçable.
La modicité des crédits ne permit âs de conduite les travaux de restauration aussi rapidement qu'il aurait été désirable. Toutefois, dès 1949, le musée de l'Île-de-France pouvait rouvrir une partie de ses salles et y présenter les pièces essentielles de ses collections. Sans attendre la restauration complète du château, qui ne put être achevée qu'en 1952, M. Héron de Villefosse pouvait entamer une série de grandes expositions destinées à amener à Sceaux un nombreux public et à faire connaître les aspects divers du sujet d'études donné au musée : l'Île-de-France.
En 1950, la première exposition fut à caractère historique : sous le titre 'Demeures royales disparues', elle évoqua les anciens châteaux de la Couronne, Marly, Bellevue, Choisy, etc... au moyen de représentations peintes de ces demeures, de plans, de mobiliers et d'objets d'art en provenance de ces châteaux, de portraits de leurs propriétaires ou hôtes les plus illustres. En 1951, c'était l'art et plus spécialement la peinture qui se trouvait à l'honneur : 'Les environs de Paris de Corot à nos jours' montrèrent des exemples de choix de l'éblouissante lignée de peintres qui, de Corot à Brayer, de Georges Michel à Dunoyer de Segonzac, avaient planté leur chevalet dans des sites d'Île-de-France. Le folklore fut à son tour évoqué en 195[2] : pour 'Traditions populaires des environs de Paris', les petits musées de banlieue, les vieilles églises du Parisis envoyèrent une série d'objets pittoresque d'objets familiers et domestiques touchants dans leur simplicité, émouvants dans leur sincérité. L'année suivante, le Président de la République tint à inaugurer lui-même l'exposition organisée en collaboration avec la Fédération Parisienne du Bâtiment à l'occasion de son centenaire, et qui, sous le titre 'Maisons de Paris', retraçait l'historie architecturale et décorative de l'habitation dans Paris et l'Île-de-France. Des ensembles décoratifs entiers déplacés pour la circonstance donnèrent à cette manifestation, un éclat particulier. Enfin, en 1954, le musée de l'Île-de-France présentait, sous le titre 'Environs de Paris, hier et aujourd'hui', les pièces maîtresses de ses collections et montrait par là l'enrichissement considérable apporté à ces dernières en l'espace de six années. De 1948 à 1955, plus de mille numéros nouveaux, en ne tenant compte que des œuvres originales, sont venues s'ajouter à l'inventaire du musée.

***

Parallèlement, le Conseil Général de la Seine avait décidé, en 1952, de décerner chaque année un prix de l'Île-de-France, à la suite d'un concours, à un peintre paysagiste des environs de Paris. Successivement, MM. Chapelain-Midy et Jean Eve en 1952, M. Mariano Andreu en 1953, M. Carzou en 1954 furent couronnés à Sceaux et une exposition des meilleurs envois suivit la distribution des récompenses.
Toutes ces manifestations revêtaient un caractère particulièrement attrayant par la parure florale, différente suivant les saisons, dont chaque année le service des Parcs et Jardins faisait bénéficier le musée.

L'importance prise par le musée de l'Île-de-France dans les manifestations artistiques de la région parisienne se doubla en même temps d'une extension de son champ d'action muséographique. Dès 1947, M. Héron de Villefosse avait obtenu le rattachement au musée des monuments historiques du domaine de Sceaux : Orangerie, Pavillon de l'Aurore, Pavillon de Hanovre. Tous trois étaient dans un état pitoyable, et leur patiente restauration  n'est pas encore achevée. L'Orangerie, dont la couverture et une partie de la décoration ont été restaurés en 1953-54 verra en 1955 ses ouvertures dégagées, et restituée l'intégralité de son décor sculpté du XVIIIe siècle.
On n'a pas attendu la fin de cette nécessaire remise en état pour lui rendre le double rôle pour lequel le bâtiment avait été conçu : affectée de nouveau, dès 1950 à l'hivernage des plantes fragiles et en particulier de la magnifique série d'orangers donnés au domaine à cette époque, elle est en été la salle d'exposition, de concerts et de conférences du musée de l'Île-de-France et peut même à l'occasion servir de studio de cinéma, comme ce fut le cas en 1954 pour le 'Napoléon' de M. Sacha Guitry.
Le Pavillon de l'Aurore, lui, a été restauré extérieurement en 1953. Il retrouvera en 1955 son décor de boiseries destiné à mettre en valeur les deux plafonds latéraux de Delobel enlevés au XIXe siècle, retrouvés dans une vente et rachetés, et surtout la splendide coupole de Lebrun, une des rares œuvres décoratives de ce peintre restée, en dehors de Versailles, en place.
Quant au Pavillon de Hanovre, édifié pour le Maréchal de Richelieu sur le boulevard des Italiens à Paris, transféré en 1930 dans le Parc de Sceaux, son affectation pose certains problèmes. Situé dans une partie du parc très éloignée, et pour le moment interdite au public, il est difficile d'accès aux visiteurs du musée. Le problème essentiel consistait en sa restauration. Celle-ci achevée dans les mois qui viennent, l'édifice recevra peut-être une affectation dont l'effet moderne et touristique ne manquera sans doute pas de surprendre d'heureuse façon.
La vigilance de la conservation du musée de l'Île-de-France s'étend aussi aux statues du domaine pour lesquelles il serait désirable d'entreprendre une campagne de restauration. Celle-ci a dû être reportée à un avenir plus lointain, l'on espère néanmoins remettre en état la jolie terre cuite du jardin du petit château et les petits monuments qui ornent, au jardin de la Ménagerie, les tombes du serin et des chats de la Duchesse du Maine.
L'aire du musée de l'Île-de-France déborde d'ailleurs le cadre de Sceaux : en 1953 lui ont été rattachées les collections Kahn de Boulogne-Billancourt et il a été chargé en 1954 d'étudier la réorganisation du Musée de la Rose de L'Haÿ-les-Roses.
L'action du musée de l'Île-de-France s'est manifestée également à l'extérieur du domaine de Sceaux. Siège d'un centre de documentation complet des environs de Paris aménagé en 1954-55, le musée était tout naturellement amené à s'intéresser à l'évolution de la région dont il doit être le reflet. A plusieurs reprises, il a été amené à signaler aux services intéressés des édifices ou des sites en danger qu'il importait de respecter. Pour ne citer que deux exemples, l'attention fut attirée par lui sur le petit château de Choisy que l'auteur de ces lignes eut la joie de découvrir en 1952, et c'est sur l'initiative de la conservation de Sceaux que fut préservée en 1954, à Clamart, la charmante maison de l'abbé Delille.

Parallèlement le service des Parcs et Jardins continua, dans la mesure des crédits qui lui étaient alloués, la restauration, l'aménagement, la mise en valeur du parc de Le Nôtre. Si des campagnes de travaux peu spectaculaires mais nécessaires durent être consacrées à des travaux d'assainissement et de drainage, d'autres transformations plus visibles furent effectuées. Le transfert dans les parterres du pavillon de Hanovre de la collection de dahlias, la plus belle d'Europe, l'élargissement et la replantation de l'avenue de l'Orangerie, la remise en état du bosquet des Caprices, enfin, en 1954, la première tranche du réaménagement des parterres situés devant l'Orangerie qui permit de remettre au jour les fondation du bassin au bord duquel Louis XIV, un jour de fête, avait soupé, et que l'on espère voir reconstitué. Dans un proche avenir seront également réalisés la mise en état de certaines allées desservant le pavillon de Hanovre, le curage et la réfection de l'Octogone et du Grand Canal.

L'œuvre entreprise doit se poursuivre pendant encore de nombreuses années. Elle est de longue haleine, ce qui la rend peut-être encore plus attachante. Elle devra un jour ou l'autre être complétée par des mesures de protection (le domaine de Sceaux, si étonnant que cela puisse paraître, n'est pas classé dans son ensemble) qui éviteront certaines défigurations fâcheuses tel qu'il s'en est produit plusieurs ces dernières années. Si le but visé n'était que la remise en état d'un domaine de Le Nôtre et l'organisation d'un musée qu est pour l'Île-de-France ce qu'est Carnavalet pour Paris, il serait déjà considérable. Mais l'effort entrepris tend également à faire de Sceaux, par son ordonnance, sa salubrité et l'aménagement de ses abords, un exemple à méditer et à suivre en matière d'urbanisme ; en cela il n'est pas exagéré de dire que l'œuvre entreprise a, sous l'angle social, économique et pacifique, une portée considérable. "

***
Commentaire :

Fils d’officier, Georges Poisson (1924-2022) vit le jour en 1924, à Düsseldorf, pendant l’occupation de la Rhénanie par l’armée française, à la suite du Traité de Versailles. C’est toutefois à Paris, d’abord au lycée Louis-le-Grand, puis à la Faculté des Lettres, qu’il accomplit de brillantes études. Diplômé d’études supérieures d’histoire, il étudia à l’Institut d’Art et d’Archéologie, puis à l’Ecole du Louvre. 
Débutant comme attaché stagiaire au musée du Petit Palais, Georges Poisson seconda, dès l’hiver 1948, René Héron de Villefosse (1903-1985) au musée de l’Île-de-France, que le Département de la Seine avait créé au château de Sceaux en 1937. Les deux hommes organisèrent la réouverture de l’établissement, évacué et contraint à la fermeture pendant l’occupation allemande.

Nommé conservateur adjoint en 1957, puis conservateur en 1969, Georges Poisson se démena pour l’enrichissement des collections du musée de l’Île-de-France, qu’il réalisa grâce à une politique régulière d’acquisitions, à des donations d’artistes et de collectionneurs, et à l’obtention d’importants dépôts. Il créa, en 1951, le centre de documentation du musée de l’Île-de-France, consacré à l’histoire des communes de la banlieue parisienne. Parallèlement au musée de l’Île-de-France, Georges Poisson exerça au musée de Meudon (1968-78), veilla sur la maison de Zola, à Médan (vice-président, 1984-96) et la maison littéraire de Victor Hugo, à Bièvres (conseiller technique, 1990). 

Cet historien chevronné publia de nombreux ouvrages sur d’illustres personnages, de Fénelon aux Orléans. Il étudia inlassablement l’histoire de Paris et de ses environs, de ses sites remarquables, publiant plusieurs guides et un ambitieux Dictionnaire des Monuments de Paris et d’Île-de-France en deux volumes. Il fit le récit de sa riche existence dans un passionnant ouvrage de souvenirs (Combats pour le patrimoine, 2009). Georges Poisson accompagna l’essor du musée de l’Île-de-France jusqu’en 1989, avant de remplir, au sein du Département des Hauts-de-Seine, la fonction d’inspecteur général des affaires culturelles (1989-93). Il était commandeur de la Légion d’honneur, chevalier des palmes académiques et commandeur des Arts et des Lettres. Georges Poisson avait été décoré de la Croix du Combattant volontaire 39-45. Il s’est éteint le 14 mai 2022, dans sa 98e année, et repose désormais au cimetière du Père-Lachaise, à Paris.

***
SCEAUX DOMAINE REV15

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

SCEAUX (92) - PARTITIONS

HAM (80) - CORRESPONDANCES DE GUERRE

HAM (80) - DOCUMENTS