SCEAUX (92) - REVUES

 


Raoul VITERBO
" La Renaissance du domaine de Sceaux"
L'Illustration, 23 octobre 1926, n° 4364, p. 438-440
38 x 29,5 cm
Ham-Paris, collection Beaurain

***

Contenu de l'article :

" Lors de l'achat du domaine de Sceaux, sur avis favorable de la préfecture de la Seine et du conseil général en 1923, M. Elie Debidour évoqua, ici même (* Voir L'Illustration du 15 mars 1924), les malheurs du château, des allées de Diane et de la Duchesse. Aujourd'hui, une seconde étape va probablement être franchie : la restauration de cette propriété qui dort sous ses ombrages : les bocages du parc de Sceaux vont se réveiller.
Lorsque, voilà trois ans passés, le département acquit des mains de la princesse de Cystria le magnifique domaine de Sceaux, pour la somme de 13 millions, il réalisa, au point de vue moral et financier, une excellente opération. En premier lieu, il sauvegarda un coin du patrimoine national en empêchant le morcellement de ce parc historique qui serait fatalement tombé entre les mains des lotisseurs, souvent peu soucieux d'esthétique. Puis, il réalisa, chose inattendue dans les annales administratives, un bon placement foncier. Cette fois, le département, inspiré sans doute par le souvenir du ministre Colbert, premier surintendant de Sceaux, donna à l'Etat une petite léçon de prévoyance et d'intervention sagace. La plus-value des terrains dans la région permet aujourd'hui de caresser de longs espoirs et de vastes pensées. Les arts et la finance vont se mettre d'accord. Le service d'extension de Paris, que préside avec tant d'éclectisme M. Forestier, envisage la résurrection complète de l'ancien domaine, d'après le plan général de 1785, avec les ressources afférentes à l'achat.
Les grandes lignes des beaux jardins à la française, dessinés par Le Nôtre, les allées ombreuses, les charmilles, le canal et le bassin de l'Octogone qui évoquent toute la magnificence d'une époque disparue subsistent encore en dépit d'une végétation luxuriante et débordante. Il s'agit de remettre en état un domaine princier dont l'élégance et la majesté n'ont point failli à travers les siècles. Quel plus bel éloge peut-on faire de l'œuvre des Le Nôtre, Perrault, Le Brun, Coysevox, Girardon que d'en constater l'ineffaçable attrait à travers toutes les vicissitudes ! Mais, en faisant revivre ce plan d'ensemble d'un des plus beaux domaines de l'ancienne Cour, on ne saurait oublier certaines préoccupations d'ordre moderne. De vastes promenades, des espaces d'air pur, des terrains de jeux et de sport et des pelouses seront réservés pour les ébats de la jeunesse. Ainsi ce cadre du passé, puissamment évocateur, parlera encore mieux à l'imagination de l'enfance. Le château, reconstruit en 1856, servira peut-être de musée avec ses perspectives verdoyantes et ses beaux parterres d'ifs. A 5 kilomètres de la capitale, les Parisiens possèderont un nouveau petit Versailles aux parterres fleuris et harmonieux, aux charmilles peuplées de souvenirs, dans un coin privilégié que le Roi Soleil appelait "mon beau grenier de Sceaux".
Pour réaliser ces projets de restauration et de nouvel aménagement, il faut prévoir de grosses dépenses. Le seul projet de nettoiement du canal, qui a une longueur de 1.000 mètres, et des bassins, dont l'un mesure 150 mètres de large, suppose plusieurs centaines de mille francs. Le service d'extension et le département ont envisagé les moyens d'y faire face. L'érudit M. Forestier s'est senti l'âme audacieuse d'un Colbert. Nous avons fait allusion à la plus-value des terrains dans la région de Sceaux depuis 1923. Un lotissement partiel en bordure du parc et qui ne portera que sur des terres de culture et des prairies ayant perdu leur caractère de jardin d'agrément permettra de récupérer les capitaux engagés lors de l'achat du domaine.
Peut-être même y trouvera-t-on des ressources supplémentaires pour commencer les travaux prévus.
Voici, d'ailleurs, quelques précisions rassurantes sur les modalités de ces lotissements.
Le premier aura lieu avant la fin de l'année. Par délibération du 9 juillet 1926, un lotissement de 5.193 mètres sera mis aux enchères en bordure de la rue Houdan, dont la largeur sera portée à 20 mètres. Ce lotissement aura un caractère exclusivement résidentiel. Des servitudes esthétiques très strictes seront imposées aux futurs acquéreurs. La mise à prix sera de 80 francs le mètre. Le deuxième lotissement prévu le long de la route Nationale, des deux côtés du chemin de fer de Limours, portera sur 102.500 mètres et 150.000 mètres avec construction de pavillons et jardins.
Le troisième lotissement à l'Ouest, en face de la station de Châtenay, comportera 98.500 mètres de terrain : un véritable lotissement de jardin de luxe.

Projet d'aménagement du parc de Sceaux, établi par les services d'extension de la Ville de Paris
[Plan établi par Jean-Claude Nicolas Forestier en 1924]

Dans l'ensemble, 391.300 mètres de terrain (voies déduites) seront mis en vente à différentes époques et cela sans détruite le plan de la belle ordonnance de l'ancien domaine. Unr grille séparera le lotissement avec accès dans le parc pour les propriétaires riverains soumis à la plus stricte observance des règles d'esthétique. La portion du pavillon de l'Aurore, autrefois jardin potager, et dont la transformation s'achève actuellement par des "jardins de la sensibilité", selon l'expression pittoresque de M. Forestier, sera ouverte au public au commencement de l'an prochain.
Nous avons fourni tous ces détails et ces chiffres afin de rassurer les gens de goût qui craignent toujours, avec raison, certains empiètements maladroits. L'harmonie de l'ancien cadre et ses habiles perspectives ne seront point modifiées.
Le nouveau projet de restauration prévoit donc la remise en état du parc, du canal et des bassins, ainsi que des allées. Mais le pavillon de l'Aurore et l'Orangerie surtout, avec sa toiture défoncée, ont besoin d'une sérieuse réfection.
N'imaginez pas, d'ailleurs, que devant ce beau projet tous les obstacles sont déjà levés. Au moment de l'achat du domaine par le département, deux locataires occupaient les lieux avec un bail en bonne et due forme.
Pour l'instant, on parlemente avec ces "seigneurs fonciers" pour trouver une formule de congé. Le côté plaisant de l'aventure, c'est que le département ne peut présentement risquer le pied dans la partie du domaine qui se trouve sous-louée et dont il veut faire par la suite le second lotissement. On ne dispose d'une certaine partie des terres de Sceaux que... sur le papier et d'après les plans. Tout s'arrangera sans doute par une transaction à l'amiable. En attendant, le département et ses hôtes ont adopté la politesse du grand siècle dans leurs rapports.
-Surtout, demandez bien l'autorisation avant d'entrer dans la partie du domaine qui échappe à notre contrôle, recommande-t-on prudemment aux visiteurs occasionnels...
D'ailleurs, le "châtelain" actuel de Sceaux, M. de Brabander, est un aimable cicerone, conscient des richesses artistiques qui dorment sous son égide. Il faut, en effet, avouer que si le parc actuel de Sceaux évoque la splendeur d'autrefois par ses grandes lignes, c'est à la manière d'une belle dame un peu oubliée et dont on dit en contemplant les traits du visage :
- Combien elle a dû être belle...
Car les pièces d'eau sont couvertes de feuilles mortes, l'Octogone est un miroir quelque peu terni et les herbes s'élèvent et poussent partout comme des fougères géantes. Le spectacle ne manque pas d'une certaine grandeur. L'allée de la Duchesse incline encore davantage à la rêverie et à la mélancolie, avec sa voûte de marronniers en ogive que leur poids penche vers le sol et que la statue de la Servitude semble attirer invinciblement. L'allée de la Cascade apparaît comme un enchevêtrement de rosaces, a bout desquelles scintille le miroir argenté du bassin. Des statues effarées dressent parmi les buissons ardents  leur buste tronqué. Certes, il faudra polir, émonder, sarcler, abattre, redresser et ratisser avant de "remettre à neuf" le parc brillant d'autrefois. Mais, en revanche, que de souvenirs se nichent dans tous les recoins silencieux, sous les pierres moussues, parmi les statues vétustes et mutilées, au milieu des allées assoupies et tranquilles et dans ce massif qu'on appelait jadis le "salon des Marronniers" !
Le pavillon de l'Aurore dresse toujours sa coquette silhouette blanche aux proportions harmonieuses et il attire dès l'abord l'attention. On achève sa toilette extérieure. A l'intérieur, le dôme peint par Le Brun, et qui représente le char de l'Aurore, évoque dans son riche coloris tout le travail intelligent et réglé du peintre et de l'époque. Le palais de l'Aurore, temple de l'Amour, avec sa vasque de marbre blanc et ses douze fenêtres, était, on se le rappelle, le lieu de prédilection de la duchesse du Maine, cette brillante petite-fille du grand Condé surnommée "la Fine Mouche", et qui sut réunir autour d'elle les plus beaux esprits de l'époque.
On faisait chez elle assaut de rimes et d'élégances. "Point de nuit, dit l'abbé Genest, qui ne soit signalée par quelque brillant spectacle dont l'éclat annonce même notre surprise et notre joie à tous les lieux d'alentours."
Epoque de jeux et de ris succédant aux aménagements fastueux faits à Sceaux par Colbert et aux réceptions grandioses de Seignelay, son fils. Le roi Louis XIV vint plusieurs fois à Sceaux, mais la fête offerte dans une occasion semblable par Seignelay, dépassa en magnificence tout ce qui avait été présenté jusqu'alors. Elle est une fresque de l'histoire galante de l'ancien domaine de Sceaux. "Plusieurs gondoles dorées et vitrées, garnies de d[a]mas, parées et conduites par des rameurs vêtus de blanc, circulèrent sur les pièces d'eau. La table fleurie fut dressée le long du canal avec mille flambeaux". Et, nous conte le Mercure galant, on entendit, en haut de la Cascade, l'agréable bruit de plusieurs hautbois qui se mêlait à celui des eaux. Au fur et à mesure que le monarque avançait sous les charmilles, l'invisible mélodie était en l'air et précédait ses pas comme une invite galante. Magnifique féérie de souvenirs à laquelle a succédé le grand silence de l'attente. Mais qu'y a-t-il encore de plus émouvant aujourd'hui que le spectacle des deux groupes de Coysevox  noircis par le temps et le pavillon de l'Orangerie immobile dans l'oubli momentané ? Les deux statues du célèbre sculpteur se dressent au-dessus des douves, à l'entrée du parc, ayant conservé la souplesse immuable de la vie à travers la rigidité de la pierre. Ces œuvres d'art  sont si loin de toute école, et en même temps si près de nous, qu'elles éclipsent par leur seul voisinage toutes ls Pomones et les Cérès figées aux alentours. Ce sont deux merveilles de sculptures qui ne porteront jamais aucune date...
Et peut-on parler de l'Orangerie sans un peu de mélancolie ? Ce pavillon où Colbert et la duchesse du Maine organisèrent des réceptions marque sur sa toiture le poids des années. On a parlé maintes fois de réparations, mais il semble entendre le dialogue de quelques conseillers municipaux de la région...
-Il faut abattre cette masure qui tombe en ruine...
-C'est ancien, gardons cela tout de même, opine un autre conseiller...
La vérité, c'est qu'une réfection complète de la toiture de l'Orangerie coûterait fort cher. Mais quand on contemple les moulages du plâtre à l'intérieur, ces carrés qui recevaient les tapisseries de prix, on souhaite que ce décor délicat soit conservé à l'admiration des connaisseurs. En attendant que les eaux jaillissent du canal et serpentent le long de la Cascade, que la vie reprenne dans les allées soigneusement ratissées du grand parc de Sceaux, il n'est pas de visite plus suggestive que celle de ce domaine au Bois dormant, aux statues blessées et aux pièces d'eau qui sommeillent sous la mousse parmi tant de souvenirs..."

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Façade Ouest du château, devant une des pièces d'eau


La grille du château flanquée de deux groupes de Coysevox : à gauche, combat du dogue et du loup ; à droite, combat de la licorne et de la salamandre

UN CHATEAU DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DANS LA BANLIEUE PARISIENNE : SCEAUX

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Une ancienne allée avec ses statues à demi enfouies dans la verdure


     
                            Le pavillon de l'Aurore                                                    L'Orangerie


LE DOMAINE DE SCEAUX DANS SON ETAT ACTUEL
Photographies Harlingue

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