SCEAUX (92) - REVUES

 


Elie DEBIDOUR

"Le Domaine de Sceaux acquis par le département de la Seine"
L'Illustration, n° 4228, 15 mars 1924, p. 239-242
39,5 x 30 cm
Ham-Paris, collection Beaurain

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Contenu de l'article :


Légendes des illustrations :

En haut : Les Parterres, d'après une gravure du dix-huitième siècle (voir l'état actuel en bas de la page 241).
En bas : Vue d'ensemble du château, d'après une gravure du dix-septième siècle (voir l'état actuel en haut de la page 241).

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" Le département de la Seine s'est rendu propriétaire du parc et des vestiges de l'ancien château de Sceaux. La politique prévoyante et sage qui lui a permis, conformément aux principes d'extension des villes, de mettre depuis la main sur diverses réserves d'espaces en banlieue, vient cette fois de lui donner un magnifique ensemble plein d'art et d'histoire, destiné à devenir le joyau de cette partie du "plus grand Paris".
Ce n'est pas seulement, en effet, 228 hectares d'un sol pittoresque, encore admirablement boisé, pourvu d'eaux abondantes et limpides, qui sont entrés en sa possession. C'est une des plus intéressantes créations de Le Nôtre, c'est tout un patrimoine d'art où revit la pensée du dix-septième siècle, le talent de Perrault, de Le Brun, de Coysevox ; c'est enfin dans ses limites à peu près complètes, dans son ordonnance générale, le grand et somptueux domaine que Colbert, en pleine faveur, avait consacré à la gloire de sa maison, le théâtre aimable des jeux de la cour de Sceaux et de la remuante existence de la duchesse du Maine.
Sans doute, ce beau domaine n'arrive au port qu'après des pertes cruelles et irréparables, et comme découronné. C'est d 'abord celle du château lui-même, détruit sous le Directoire, remplacé en 1856 par une construction insuffisante et sans caractère et la disparition de sa splendide ornementation. Ce sont aussi de fâcheuses amputations ou emprises. Mais, la part faite à ces accidents déplorables, que de circonstances heureuses au milieu de tant de dangers ! C'est d'abord, après Colbert et les siens (1670-1699), la longue et paisible possession de deux dynasties de sang royal, soucieuse de mener une vie princière : le duc et la duchesse du Maine (1699-1753), leurs fils, le prince de Dombes et le comte d'Eu (1753-1775), le duc de Penthièvre, fils du comte de Toulouse (1775-1791) et la duchesse d'Orléans, sa fille. Puis, dans la grande crise de la propriété seigneuriale, c'est le morcellement retardé par le gouvernement révolutionnaire, qui projette l'installation en cet endroit d'une école d'agriculture et finalement à peu près évité. C'est le passage, au début du dix-neuvième siècle, en la possession d'une grande famille de la noblesse impériale, qui pendant un siècle conserve dignement ce qui reste de l'œuvre illustre et supporte le poids de cette charge écrasante. C'est enfin, au moment où les lotisseurs et les marchands de biens en quête de dévastation rôdent partout, l'initiative avisée de la Préfecture de la Seine et du Conseil général. On conviendra qu'en dépit de grandes infortunes, les chances heureuses n'ont pas manqué au domaine de Sceaux. Et, maintenant, c'est le salut assuré, c'est l'espoir d'une renaissance respectueuse et honorable, rehaussée par le bénéfice d'une très belle opération d'aménagement urbain.
Que reste-t-il aujourd'hui du domaine de Colbert et de la duchesse du Maine ? La Commission du Vieux-Paris s'est appliquée à dresser un inventaire exact des richesses d'art et des beautés naturelles qui sont entrées dans le patrimoine du département de la Seine.
Une magnifique avenue longue de cinq cent mètres, bordée d'une quadruple rangée d'ormes, conduisait à la première clôture : deux élégants pavillons latéraux, une porte centrale encadrée de deux piliers massifs portant de vigoureux groupes d'animaux dus à Coysevox. Israël Silvestre et Pérelle nous ont conservé l'image de cet accès plein de grandeur, animé par leur aimable fantaisie d'une vie gracieuse et colorée. Les choses ont à peine changé. L'évocation est saisissante.
Le château franchi, on découvrait de la façade postérieure une perspective de jardins français. L'ordonnance des terrasses et des parterres est encore écrite sur le terrain ; les trois miroirs d'eau reflètent toujours le ciel. Au-delà, un immense tapis vert, comme jadis, jusqu'aux parages de Châtenay, qu'un rideau de grands arbres voile harmonieusement.

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Légendes des illustrations :

En haut : Plan général du domaine en 1785.
En bas : Le bassin de l'Octogone et les Cascades, d'après une gravure du dix-huitième siècle (voir l'état actuel en bas de la page 242).

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C'est de là qu'il faut admirer les eaux de Sceaux aménagées à grands frais par Colbert et par Seignelay et qui sont aussi pures qu'abondantes. De la balustrade dite des pintades, il faut contempler la ligne calme du grand canal qui se déroule, sur près d'un kilomètre, entre les bois et la plaine. Un bras plus étroit l'unit au bassin dit de l'Octogone, immense nappe, qui dort, entourée de ses statues mutilées, dans un fond de bois mystérieux. Là venaient se perdre jadis les célèbres cascades décorées par Coysevox, dans une profusion de jets, de grottes et de bassins, un jaillissement féérique de gerbes brillantes et lumineuses.
A défaut du château, deux admirables morceaux d'architecture du moins sont parvenus jusqu'à nous : le pavillon de l'Aurore et l'Orangerie. Le pavillon, salon de repos circulaire à douze hautes fenêtres, est surmonté d'un dôme léger. Il fut le témoin et le théâtre de tout de qui s'est passé à Sceaux de frivole ou de grave. Rien de plus pur, de plus élégant dans la sobriété que ce petit chefs-d'œuvre de proportions exquises, qui vaut encore par la magnifique décoration de sa coupole due à Le Brun. Le Brun a animé là, avec sa science profonde de la composition noble et aisée, tout un monde de figures mythologiques qui font cortège au char radieux de l'Aurore.
L'Orangerie a gardé, dans le délabrement inquiétant de ses toitures, un caractère puissant et majestueux. Trois frontons y présentent des motifs d'une sculpture excellente et ferme. L'intérieur, qui servait en été de galerie, est encore orné des cadres de plâtre destinés aux tapisseries. Louis XIV, en 1677, y entendit Phèdre et, en 1688, l'Idylle de Sceaux, de Racine, avec la musique de Lulli.
Il faudrait noter encore ces allées profondes et nobles, ces salles de verdure, ces quinconces, qui ont conservé leurs noms évocateurs : le Caprice, l'allée de la Duchesse, l'allée de la Diane ; et aussi des morceaux de statuaire parfois exquis. Il faudrait surtout pouvoir rendre le charme de cette nature ordonnée, sur le point d'être débordée par la vie spontanée, mais qui procure encore à l'esprit la joie de retrouver partout de l'intelligence et de la beauté.
Quel que soit le sort réservé au domaine de Sceaux, il sera facile au département de la Seine de récupérer ses avances sans porter atteinte aux beautés essentielles de sa nouvelle acquisition. Il n'y a pas d'apparence que l'aménagement en promenades publiques, en terrains de jeux, et même les lotissements très modérés qui ont été envisagés soient un obstacle à la restauration des parties précieuses. Et la pensée des créateurs du dix-septième siècle peut être facilement retrouvée et comprise. La question n'est sans doute pas là, mais plutôt dans la difficulté des temps. En prenant acte de cette acquisition heureuse, il convient donc de faire un long crédit au Département pour l'accomplissement de cette tâche magnifique, mais coûteuse : la rénovation d'un coin de vieille France."


Légendes des illustrations :

En haut : Clôture et pavillons de la cour d'entrée (groupes de Coysevox) - Au fond, le château, reconstruit en 1856 (voir la gravure en bas de la page 259 montrant l'ensemble du château au XVIIe siècle).
En bas : Les Parterres et les miroirs d'eau (voir la gravure du haut de la page 239) / Le château et le domaine de Sceaux récemment acquis par le département de la Seine.

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Légendes des illustrations :

En haut : Statue de Bacchus / L'allée de la Diane / Statue d'Hercule
En bas, à gauche : Bassin de l'Octogone : au fond, on distingue, entre les futaies, l'allée des anciennes cascades (voir la gravure du bas de la page 240).
En bas, à droite : Un des escaliers de l'allée de la Diane et la statue de Bacchus / Photographies de la Commission du Vieux-Paris / Le Parc de Sceaux : état actuel

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Commentaire : 

Le marquis de Seignelay reçut Louis XIV en 1685. La représentation de L'Idylle de Sceaux n'eut pas lieu dans l'Orangerie d'Hardouin-Mansart, mais dans l'orangerie qui avait été aménagée primitivement dans l'une des ailes du château de Colbert.

Les groupes d'animaux de l'Entrée d'Honneur, longtemps attribués à Coysevox, sont l'œuvre du sculpteur Jean-Baptiste Theodon. 

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SCEAUX DOMAINE REV06

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