SCEAUX (92) - REVUES

 


Henry SOULANGE-BODIN (avec des sépias de Maurice de LAMBERT)
"La Restauration du parc de Sceaux"
L'Illustration, 20 juillet 1935, n° 4820, p. 399-402
38,5 x 28,5 cm
Ham-Paris, collection Beaurain

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Contenu de l'article :

 
En haut, à gauche : 
L'entrée d'honneur. De chaque côté de la grille, groupes de Coysevox
En bas, à droite
Le pavillon de Hanovre 
Transporté il y a deux ans du boulevard des Italiens au château de Sceaux

" L'inauguration officielle des grandes eaux du parc de Sceaux aura lieu dans quelques jours; c'est l'achèvement d'une belle œuvre de restauration dont L'Illustration a suivi pas à pas les étapes. Nous ne dirons donc point ici les minutieuses recherches documentaires effectuées par les architectes. Au jour dit, tout était prêt pour les derniers essais, qui devaient laisser aux yeux des rares privilégiés une impression inoubliable ; les réservoirs anciens recimentés à neuf et cachés dans les bosquets au débit de l'allée de la Duchesse et près de l'église de Sceaux ont vu leur niveau d'eau descendre brusquement. La pression fut énergique à souhait et l'essai de la fête de la poussière d'eau commença... 
En bas, près du "Grand Octogone", une chambre invisible qui venait d'être aménagée renvoyait sans bruit vers les hauteurs le liquide pour alimenter les nappes et les jets d'eau qui retombaient à l'endroit même où il avait été puisé. Et ce remarquable circuit, appliqué déjà place de la Concorde entre autres, réalisant de sensibles économies, a fonctionné parfaitement. C'est ainsi que les célèbres grandes cascades viennent d'être rétablies. 
Cette ordonnance nouvellement créée possède incontestablement de la tenue et des proportions de ces masses de maçonnerie très simples de lignes, de ces énormes degrés où quelques masques de Rodin envoient de l'eau sont d'un heureux effet. On rêverait d'une abondance et d'une puissance plus grandes des cascades, mais il faut songer à la dureté des temps et au fait que le budget a dû être réduit d'une façon sensible. 
Du reste, les documents font défaut, c'est à peine s'il nous reste trois gravures fort différentes et très fantaisistes. Mais, néanmoins, quel spectacle émouvant que celui des grandes eaux de Sceaux ! Un immense jet s'élève de la nappe d'eau au milieu de l'octogone et monte à la hauteur d'une maison de sept étages. Les cerfs de Gardet paraissent s'approcher des berges pour boire ; leurs ors, légèrement patinés, sont déjà moins indiscrets à côté des vieilles statues décapitées qui bordent les berges. A la même place, entre les socles qui les supportent, Louis XIV s'était arrêté le 16 juillet 1685, alors que le fils de Colbert, le marquis de Seignelay, lui offrait une fête superbe. "Le lieu fut trouvé si agréable -raconte le Mercure galant- que le roi voulut s'y reposer." Il était alors en face des cascades. A ce moment, "plusieurs gondoles dorées et vitrées garnies de dam[a]s de diverses couleurs et conduites par des rameurs vêtus de blanc et couverts de rubans de couleur" glissèrent sur la pièce d'eau en passant devant le roi... pour l'inviter à entrer dans leurs barques. Mais, le roi, impassible, ne regardait que le spectacle vraiment féérique qu'il avait devant les yeux : assez loin, trois abondantes nappes d'eau se précipitaient de terrasse en terrasse. Coysevox avait fait des merveilles en animant ce décor de tigres, de lions, de panthères crachant de l'eau (nous ne voyons plus aujourd'hui que quelques rares masques de Rodin). 
Le soir vint surprendre le roi au milieu de ses étonnements. A ce moment des hautbois postés sur la hauteur se firent entendre. Ces musiciens "étaient surtout cachés derrière une palissade et marchèrent longtemps sans être vus, de manière qu'il semblait que cette mélodie invisible était en l'air et que ceux qui la formaient se faisaient un plaisir de suivre le roi ".

 

En haut
Le grand canal reconstitué
En bas
La partie haute de la grande cascade (restauration de M. Azéma, Archit.)

 
 
 
Le bassin, dit "Le Grand Octogone", et la cascade
Au premier plan, groupe de Gardet

 
En haut, à gauche :
Le dieu Terme, près du château
En bas, à droite :
Le pavillon de l'Aurore

Sa Majesté remonta un escalier latéral, longeant les cascades, pour se rendre à une autre fête qui se préparait à l'Orangerie. Ce bâtiment existe encore, une aile avait été détruite par un incendie, mais la partie la plus importante subsiste et a été restaurée avec un goût parfait par M. Azéma, l'architecte et l'ordonnateur des travaux du domaine de Sceaux. Il en est de même du pavillon de l'Aurore heureusement échappé à l'usure du temps. Ce petit temple consacré aux plaisirs était appelé ainsi parce que la figure allégorique de l'Aurore servait de thème principal à la décoration de sa coupole du au pinceau de Lebrun. C'est dans ce cadre que la duchesse du Maine présida à la cinquième grande nuit, la plus célèbre de cette série de fêtes qui eurent toutes un grand retentissement. Sceaux, à cette époque, était un vaste théâtre où les pièces succédaient aux pièces et lorsqu'on était à court de nouveauté et que le répertoire languissait, la grande inspiratrice de toutes ces créations littéraires criait à ses poètes favoris, manquant de souffle : "Des vers ou je meurs." Et l'activité rebondissait sur la scène.
Comme nous l'aimions ce petit chef-d'œuvre de l'art français il y a peu d'années encore, alors qu'il était si bien encadré par de grands arbres ! Ils ont tous été abattus ! Les vases anciens se dégagent maintenant de chaque côté des escaliers qui ont plus que jamais conservé leur grâce serpentine. Mais le lycée Lakanal forme un paravent hideux qui gâte le coin le plus évocateur du parc de Sceaux.
La restauration la plus remarquable de Sceaux n'est-elle pas celle du grand canal ? Au moment de l'acquisition de ce domaine, les berges étaient effondrées et les lignes générales disparaissaient sous la vase. Cette "Mare morte", ce marais indiqué sur les plans anciens qui existaient au moment où Colbert fit dessiner son parc par Le Nôtre allait se reformer. L'œuvre que son fils, le marquis de Seignelay, avait créée dans un accès de prodigalité, semblait condamnée à une disparition totale. En deux ans, la situation fur rétablie, les dragages exécutés avec succès... et les petits "decauville" firent le reste...
Bientôt les lignes impeccables et fort bien reconstituées formèrent un cadre parfait qui put retrouver magnifiquement cette immense nappe d'eau. Mais il ne suffisait pas de cimenter le grand canal pour éviter de troubler dans l'avenir la pureté de ce miroir qui s'étend maintenant à perte de vue. Un puissant appareil vient d'être installé qui est chargé de "décanter" les ruisseaux qui alimentent le canal et joue le rôle d'un puissant filtre. 
Nous pouvons dire que la restauration de l'œuvre de Le Nôtre est un effort d'art digne d'éloges. Les gardes forestiers qui travaillèrent à cette magnifique remise en état doivent être également cités à l'ordre du jour. Avec une ténacité digne d'éloges, ils ont retrouvé dans les bois des vieilles souches des restes de charmilles plantées par Le Nôtre. Ils ont pu ainsi découvrir le tracé des allées primitives; en outre, cette voie circulaire enveloppant le Grand Octogone. Deux buts ont été atteints en conservant Sceaux : le premier a consisté à restaurer une des grandes créations du temps passé, sans trop de frais, grâce à des lotissements judicieusement établis en bordure de l'ancien domaine. Le second est d'ordre social : la population parisienne, éprouvant de plus en plus le besoin de respirer un air vivifiant, peut trouver là de vastes terrains de jeux  situés le long du grand canal qui est devenu un champ d'exploits pour les fervents du canotage. Devant les balustres de la "pintade", cette terrasse qui domine l'incomparable perspective, nous pouvons constater que les nécessités de la vie moderne ont trouvé à s'harmoniser parfaitement avec le besoin de conserver une des plus belles parures de l'Ile-de-France."

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SCEAUX - DOMAINE REV04

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